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Theologieal Seminary,
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H I s T O I
DE ^
LEDIT DE NANTES.
CONTENANT
Les chofes les plus remarquables qui fe font
paflees en France avant & après fa publication ,
à l'occafion de la diverfité des Relisions :
Et principalement les Contraventions , Inexécutions ^ Chicanes i Artifices, Violences, & autres InjuJUces, que les Reformez fe plaignent d'y avoir fotiffertes y jufques à
LEDIT DE REVOCATION.
en Odobre k^Sj.
Avec ce qui afuivi ce nouvel Edit jufques à prefent,
TOME PREMIER.
A D E L F T,
Chez ADRIEN B E M A N,
M D C X C I I I.
Avec Trivilége,
PRIVILEGIE.
DE S fat en van Holland en de WeH-VrieJland^ do en te weten : Alzoo 0ns vertoond is by Adriaen Beman , Bock- verkooper totT>elft <, dat hy Suppliant bezig ztjnde -^ met groote kojîenende moeite y te drukken zeker Èoek ^ genoew d Hiûoirc del'E- dit de Nantes , contenant les chofes les plus remarquables qui (è font paflees en France avant 8c après la' publication , à l'occafion de la diverllté des Religions, &c. in quarto -^ in vier^eelen^ beducht was dat Itchtelijk ttmant anders hier tn Onzen Lande , tôt zijn Sup- pliants groote Jchade ende nadeel , V zelve Boek zoude trac ht en na te drulzken , zoo keerde hy Suppliant zich in aile onderdamgheid toi Ons , biddmde dat ÏVy hem Suppliant geliefden te begunjitgen met een JpecïaalO^roy ofte Privilégie ■> by't welke aan hem Suppliante zijn Erven , of aCîie verkrijgende , werde ^vergunt V voorn. Boek , geduu- rende den tijd i)an v^ftien eerftkomende jaren 5 alleenlijk in Onzen Lande te mogen drukken -^ uitgeven ende njerkoopen-^ inzoodanigeta- len ende format en als hy Suppliant zoude konnen goedvinden i met *verbod dat niemant *tzelve Boek^ in 't geheel ofte ten deele , in eeni- gerhande manier en , zoude vermogen na te drukken ^ uitgeven ofte verkoopen^ of elders nagedrukt zijnde in onzen Lande zoude mogen ^juerden ingebragt , verkocht ofte verhandelt , op zekere groote pœne by de overtreders te verbeuren : Z O O I S 'T , dat ÏVy de zake ende V verzoek 'voorfz. overgemerkt hebbende , ende genegen wezende ter bede van den Suppliant y uit Onze rechte wetenfchap ^ Souveraine magt ende authoriteit -i den zelven Suppliant -^ zijn Erven ^^ of aBie 'Verkrijgende geconfenteert y geaccordeert ^ ende geo^royeert hebben^ confenteeren , accordeeren , ende oBroyeeren mit s dezen , dat hy ge- duurende den tijd van vijftien achter-een-volgende jare7i , het voorfz. Boek genoemd Hiftoire de l'Edit de Nantes , contenant les chofes les plus remarquables qui fe font pafTées en France avant & après fa publication , à Toccafion de la diverfité des Religions , ùc m quarto^ in vier T>eelen , binnen den voorfz. Onzen Lande alleen zal mogen drukken , doen drukken , uitgeven ende verkoopen -, verbiedende daar- om allen ende eenygelijken het zelve Boek , in V geheel ofte ten deele^ na te drukken , ofte elders nagedrukt binnen den zelven Onzen Lan- de te brengen , uit te geven ofte te verkoopen , op verbeurte van aile de nagedrukt e y ingebragte ofte verkochte Exemplaren ^ ende eenboete
van
van drie honderâ guldcns daar bàven te verheuren , te appliceerm een derde-part njoor den Officier dïe de caîange doen zal , eeyi darde-part 'uoor denArmen derplaqtfe daar h et çajus voorvalltn zal^ ende ket reft^eerende derde-part njmr den Suppliant. Ailes in dienverjlandcy dat JVy den Suppliant met dezen Onzen 05îroye alleen willende gra- tifiée er en 5 tôt verhoediyige van ztjne fchade door h et nadrukken van joet vcorfz. Boek , daar door in geenigen deele verfiaan den inhoude ''Uan dien te autorifeeren ofte te avoiieeren , ende veel min bet zelve onder Onze prote5fie ende befcherminge eenig meerder crédit , aan- zien ofte reput atie te geven ; nemaar den Suppliant , in cas daar inné iets 07ibekoorlijks zoude mogen influeeren , aile het zelve tôt zijnen lafte zal gehouden wezen te verantwoorden : En tôt dien einde njvel expreffielijk begeerende , dat by aldien hy dezen Onzen OEîroye voor hét zelve Boek zal willenfiellen^ daar van geen geabbrevieerde ofte gecontraheerde mentie zal mogen maken^ nemaar gehouden zal we^* zen V zelve 05îroy in *t geheel , ende zonder eenige omiffie^ daar voor te drukken ofte doen drukken : Ende dat hy gehouden zal zijn een Exemplaar van het voorfz\~ Boek , gebonden ende wel gecondi- tioneert , te brengen in de Biblïotheek van Onze Univerpteit tôt Lei- den , ende daar van behoorlijk te doen blijken : ailes op pœne van het effeh van dezen te verliezen. Ende ten einde den Suppliant dezen Onzen Confient e ende Oâîroye moge genieten als naar behooren^ laflen Wy allen ende een ygelijken dien V aangaan mag , dat zy den Suppliant van den inhoude van dezen doen , laten-, ende gedoogen y ruftelijky vredeltjk ende volkomentlijk genieten ende gebruiken , cejfieerende aile belet ter contrarie. Gedaan in den Hage -, onder Onzen groot en Ze- gelé hier aan gehangen , op den drie-en-twintigften Februanj , in V jaar onze s Heeren ende Zaligmakers duizend zes h onder d drie -en' tne^entig.
A. H E IN S I U S, vt.
Ter ordonnantie van de Staten,
y
Simon, van BEAUMaNX»
A JMESSEIGNEURS, MESSEIGNEURS
CONSEILLERS
DEPUTEZ
DES ETATS DE HOLLANDE ET DE WEST-FRISE
S
OBLES ET PUISSANS SEIGNEURS,
I je n'imite pas icy les Ecrivains , qui mettent à la tête de leurs livres un éloge étudié de ceux
a 3 qu ils
E P I T R E
qu'ils ont choifîs pour leurs Proteéleurs , je n'en fuis empêché ni par la crainte d y reûflîr mal , fi j'en formois le deflein ,• ni par celle de m'expofer au dégoût qu'on a depuis long-tems pour cette forte d ouvrages. J'avoue que je n'aurois pas rai- Ion de comptçr beaucoup fur mon éloquence ; mais jetrouverois dans la richefle du fujet dequoy fuppléer au défaut de mon art & de mes lumiè- res : , &; je pourrois efperer de ne déplaire pas au Leéleur , parce que j'aurois à luy dire des choies qu il voit rarement dans de femblables écrits. Il eft difficile aujourdhuy d'y faire entrer quelque trait d'efprit ou de Rhétorique , qui ait encore f>our luy les grâces de la nouveauté : & il femble fur tout que la vérité a perdu la coutume d'y pa- roître. Mais je n'aurois pas de peine à donner un tour peu commun à la matière que j'aurois entre les mains ^ & fi loin que je pufle porter les louan- ges que je voudrois y mêler , elles ne pourroient pafler pour fufpeéles, ni pour exceflîves. Je n'au- rois qu'à confiderer Vos Nobles Puissances comme un Augufte Corps , à qui appartient tout .le mérite des Illuftres Membres qui le compofent. Il me feroit aifé par ce moyen de donner à mon
difcours
D E D I C A T O I R E.
difcours mille ornemens peu ordinaires: & il n'y auroit perfonne qui ofât me foupçonner d'élever trop haut la gloire de tous enfemble ; puis que fî on prenoit à-part chacun de ceux qui font appel- iez à ces dignitez éminentes , on trôuveroit dans fon nom , dans fes qualitez , dans importance de fes emplois & de fes fervices, autant de fujets d'un jufte Panégyrique. Mais je fais bien , Nobles ET PuissANs Seigneurs, que les folides vertus ne fe font point un honneur de ce vain en- cens. Il n y a que les âmes vulgaires qui s'entê- tent de cette fumée» Ceux qui ont le cœur vé- ritablement grand , aiment mieux être utiles au Public par de belles aélions , que d'entendre par- ler avantageufement de leur perfonne & de leur conduite. Je ne doute point que Vos Nobles Puissances neftiment bien plus digne d'Elles, de graver leur éloge dans le cœur & dans la mé- moire des Peuples par un fage Gouvernement, que de le lire dans une Epître Dedicatoire. Sans m'engager donc à un travail qui ne feroit pas agréable à Vos Nobles Puissances, je leur rendrai compte feulement des raifons qui m ont infpiré la hardiefle de leur prefenter l'Ou-
vrage
E P I T R E
vrage que je mets au jour. Je n ay pas aflez bon- ne opinion de moy. Nobles ET Puis s ans Seigneurs, pour m'imaginer que les fruits de mes peines méritent de Vous être offerts : mais la nature du fujet que je traitte dans l'Hiftoire que je Vous dédie , peut fervir d excufe à la liberté que je prens de la mettre fous la proteétion de Vos Nobles Puissances: & après avoir tout examiné , on peut reconnoître aifément qu'il n'y a perfonne à qui elle pût être plus raifonnable- ment adreflee. Elle contient le récit des malheurs arrivez en France, à ceux qui depuis près de qua- tre-vingts-dix ans j y ont vécu fous la foy de TE- dit le plus folennel qui ait jamais été publié. Elle reprefente ce qu'ils ont fouffert jufques à la revo- cation de cette Loy , qui avoit été fi long-tems , pour ainfi dire , le bouclier de leur Religion , &le rempart de leur liberté. Elle fait voir plufieurs mil- liers de leurs familles réduites , par la violence & par l'injuftice , à renoncer aux avantages & aux douceurs de leur Patrie ; & à chercher de tous cotez un azile pour leurs perfonnes , & du repos à leurs confciences. Dans tous les Heux de l'Europe où ces fidèles perfecutez ont été conduits par la Pro- vidence :,
DEDICATOIRE.
vidence , ils ont reçu de grandes marques de la compaflion & de la bienveillance des Etrangers: mais il n y a point d'Etat où ils ayent été ni ac- cueillis avec plus de tendrefle , ni confolez avec plus d'affeélion que dans celuy-cy. La charité de Nos Tres-Puissaks Souverains eft allée au devant de leurs requêtes. Ils ont trou- vé en arrivant des fecours tout prêts. Ils ont par- tagé, pour ainlî dire, les commoditez & les ri- chefles du pais avec fes naturels habitans , par la communication libérale qui leur en a été faite. Dès le moment qu'ils en ont refpiré l'air , ils en ont goûté l'abondance. Ceux même que la com- mune tempête a jettez ailleurs, ont feutileurpart de cette héroïque beneficence : non feulement par- ce qu'elle y a fervi d'exemple ? mais parce que fes effets ne fe font pas renfermez dans les bornes de cette Province. Si la première gloire de cette li- béralité effc due à nos Souverains , de qui le zèle & la pieté fe font iignalez par cet éclatant témoi- gnage, on ne peut nier au moins , Nobles et Pu ISS AN s Seigneurs , que la féconde ne Vous appartienne. Vous avez trouvé. Vous avez diftribué les fonds où ces immenfes charitez ont Toîne L h été
E P I T R E a
été puifées. C eft par les mains de V o s Nobles Puissances que tant de Confefïèurs , tant de NoblefTe , tant de Pafteurs , tant de familles rui^ nées , tant de perfonnes de l'un & de l'autre fexe que la perfecution a fait tomber dans l'indigence , ont reçu jufques à prefent ;, & reçoivent tous les jours ces neceflaires foulagemens. Au milieu des prodigieufes depenfes que caufe une grande guer- re, les foins que Vous prenez pour le public, ne refroidiflent point ceux que Vous donnez à la confolation de tant d affligez : & Vôtre inépuifa- ble charité fait pour leur procurer les moyens de pafler doucement leur vie, ce que Vôtre infatiga- ble vigilance fait pour ne laifler rien manquer à TEtat de ce qui luy eft neceflaire dans fes légiti- mes dejGTeins. On ne peut douter apr^s cela. Nobles et Puissans Seigneurs, qu'il ne foit jufte de Vous dédier l'Hiftoire de ceux de qui Vous adoucilTez fî genereufement la mifere. Comme elle fera l'apologie de leur innocence , elle fera de même l'éloge de Vos liberalitez : & en démontrant que ce ne font pas les feditions, les confpirations , les guerres civiles , qui ont attiré fur les Reformez ces effroyables naalheurs , elle
fera
D E D I C A T O I R E.
fera connoître auflî que Vos bienfaits font d'autant plus dignes d une immortelle louange , qu'il ctoit impoffible de les mieux placer ; qu'une compaflîon purement Chrétienne les a produits ; & que Vous n'avez foulage ces familles defolées , que parce que Vous avez eu pitié d'une alBiétion qu'elles n'a^ voient pas méritée. Je puis ajouter même après ces confiderations , Nobles et Puis sans Seigneurs, qu'en Vous prefentant cette Hif- toire , je prens moins une liberté qui ait befoin d'être excufée , que l'occafion de m'aquitter d'un hommage neceflàire. C'eft une marque de recon- noiflance , que tous les Réfugiez Vous offrent en quelque façon par mes mains , comme pour ren- dre à Vos Nobles Puissances, jufques dans les fiecles à venir , les aélions de grâces qui Leur font dues : & j'ofe dire qu'ils fe fervent de ma plume , pour Vous protefter qu'ils penfent moins à conferver à la pofterité la mémoire de leurs fouf- frances , que celle de l'afliftance & des confola- tions que Vous leur avez données, je ne hafardc rien en me chargeant de repondre de leurs inten- tions & de leurs penfées , parce que la conformi- té de notre commune condition doit nous infpi-
^ i rer
E P I T R E a
rer à tous une égale fenfibilité pour les bontez des généreux Proteéteurs, de qui lesfecours nous ont été fi falutaires. D'ailleurs il ne meft pas mal-aifé de favoir ce qui fe paffe dans le cœur des autres fur ce fujet. Ils s'expliquent eux-mêmes af^ fez hautement , & publient par tout qu'ils font redevables de leur vie & de leur repos à Vôtre feule beneficence. Pour moy , Nobles Et PuissANS Seigneurs, je fouhaite moins pour mon intérêt de voir mon Ouvrage bien re- çu du public y que pour celuy deVosNoBLES Puissances: &: j'aurois moins de plaifir à voir mon nom confacré à l'immortalité , fi mes écrits me pouvoient aquerir le droit d'y prétendre , qu'à immortalifer Vôtre gloire , en apprenant à tous les fiecles quelle part Vous avez eue au foulage- ment d'un fi grand nombre de malheureux. Mais fi mes efforts ne peuvent aller fi loin , il me fuffi- ra , Nobles et Puissans Seigneurs, d'obtenir au moins une chofe où j afpire , comme à une légitime recompenfe de mon travail. C eft que fuivant l'extrême bienveillance dont Vos Nobles Puissances donnent des preuves à tout le monde , elles ayent agréable d'accepter
THifloire
DEDICATOIRE.
l'Hiftoire que je Leur prefente comme une mar- que de mes profonds refpeâs ;, & comme un en- gagement à erre toute ma vie avec autant de zê^ le , de foumiflîon & de fincerité que le cœur hu- main en eft capable,
NOBLES ET TU ISS ANS SEIGNEURS,
De VOS NOBLES PUISSANCES,
te 10. Avril 1695.
Le tres-humble i tres-obeiff'anî & tres-fideîe ferviteuvy
B M. A. D.
^3 . ,P R E-
PREFACE GENERALE-
/M(^f?: I l^Hiftoîve esî proprement confacrée a con-
S^^|^i#^yJ-^^ fervcr pour la pvfierité le fouventr des cho- i^^tv^ffi^^jO l'es les pins remarquables qu'on voit ar- '^■-g^Pf-^^ nver dans le inonde^ on ne peut mer que
^M^}^^Â^^^% /i? tr'ifte Jju des lïherîezdont les Reformez i&M^'v^k^ m:"^ ont jouï lilonç'-tems en France , ne [oit un
^9^^^^"%^ événement des plus mémorables , dont elle
Je puijje charger d'ïnflruïre ceux qui vi- vront aprl'S nom. Ihfy a rien dans cette malheur eufe révolu- tion cfui ne mérite des re flexions particulières. A cpiehiue cir- conftance de cette horrible defolation que Pelprit s"^ attache , il y trouve de quoy s"^ exercer ^ ou en s* étonnant de la malignité de ceux qui Pont caujée , ou en admirant la patience , c^ peut- être en murmurant de la foiblefje & du peu de courage de ceux qui en ont été enveloppez. Qu^un Clergé compofe a la vérité de grands Seigneurs , inais aufji de perfonnes bien plus entêtées de la grandeur àr des maximes^du monde , cpie fen/ibles aux vrais intérêts de la Religion , ou capables 7nê7ne de les connoUre , fe foit fait une fi grande affaire d"* exterminer de pauvres gens , qui n' et oient plus en état de luy dii^uterfes pojfejfions àrfes pri- vilèges ^ & quui'avoient plus de diferens avecluy ([ue fur le droit de croire , àr de prêcher en de certains lieux ce qui leur fembloit le plus véritable : c^B de quoy donner de Ntonnement d ceux qui favent qu'ail faut au inoins un prétexte jpecieux , pour fe porter avec quelque excufe aux extremitez de la cruau- té ér de Vinjujlice. Ou"* un Roy , qui pouvoit paffer pour iephi^ puiffant de touj ceux cpii ont porté avant luy la même Couronne^ & qui pouvoit être le plus glorieux , s'il avoit donné autant de raifons d fes fujets cP admirer [on équité ^ & la fermeté de fa parole^ qu'il en a donné aux Etrangers de craindre fes prol})e-
ritez
"PREFACE GENERALE,
ritez &fes conquêtes , ait porté fa complaifance pour un Con- fejfeur-, & deux ou trois autres Ecclejiafiiques >, pifqu'' a révo- quer fans caufe apparente le plm folennel de tous les Edits , & le plm digne d'être refpeâê , au moins a caufe de fon Auteur: que ce Trince ait trait té avec pliLS de rigueur qu"" il n\n auroit tu pour des rebelles , despeuples paifihles , innocens , afeâion^ nez 5 qui fe tenoient loin des [éditions & des intrigues j a qui pendant plus de cinquante -cinq ans on n'^avoit vu les armes a la main , ciue pour le fervice de l'Etat 5 & qui lors qu'ails les avoient prifcs dans une conjon&ure importafite , Pavoient fait aulfi utilement pour le Tetit-fils de Henri le Grande que leurs ancêtres t* avoient fait près de cent ans auparavant , pour fou- tenir les droits de ce Trince d'^heureufe & triomphante meinoire: c'^efl ce qu'ion auroit peine a croire , fi on n'^avoit pas devant les yeux mille témoignages qui en convainquent. Qu'un Confeil dont laPolitique eB fi profonde & fi raffinée •, & qui donne a toutes fes entreprifes un air de hauteur , qui fembie pajfer- les bornes de la condition humaine , ait néanmoins conduit ce deffein particulier d'une manière fi peu proportionnée 7i fes maximes ordinaires , que pour opprimer des gens qui ne pouvoient fe dé- fendre , il ait pris le chemin des nijuftices & des chicanes les plus grofficres ^ les plus baffes ^ les plus malignes s jufqu''a ne garder pas même de certaines bienfeances , qti'on ne doit jamais négliger dans les chofes qui fe font fom le nom d'' un Roy : c''esl ce que la pojîerité ne fe perfuaderoit pas , f on ne luy en con- fervoit de fidèles preuves. Qu'un peuple qui potivoit encore fournir plus de cent mille hommes capables de porter les armes ; qui en plufixurs lieux furpafihit les Catholiques en nombre^ en richefifes , en crédit \ qui ne manquoit pas d/Offciers braves , expérimentez , pleins de zèle pour leur Religion ; qui voyoit naî- tre afi^ez fouveut des conjonâures favorables au retablijfement
de
TREFACE GENERALE,
de fesaf aires; que ce peuple ^ dn-je^ ait fou fert trente ans de vexations injufles , cent fois plus difficiles a fupporter pour des gens de cœur que des violences outrées ; qiûd fe foit vu prendre par tous les cotez ou on luy pouvoit porter quelque coup fenfihle \ réduire par mille rufes honteufes a des extre?nitez fi cruelles , qu'ail ne voyoit de tous cotez cfue des pièges ou des pré- cipices 'y contraindre non feulement jufqti'a n''ofer fe plaindre^ & donjier par fes paroles des marques de fa douleur , inais jtf qti'dnofr croire ce qtCil fentoit -^ & a defavou'ér fes propres penfées \ ([lûd ait vu traîner durant une longue fuite d"* année Sy par la malice de fes enne7nis , une perfecution cni on pouvoit finir en un jour ; comme fi on s"* et oit moins propofé de le détrui- re que de le fatiguer , & de luy faire perdre patience : cpi'au milieu de tout cela , ce peuple affligé foit demeuré dans les termes de laplus fcrupuleufe foumiffion , fans chercher d'autre confia- tion quefesfoupirs dffes larmes \ fans s'^oppofer au deffein de fes oppreffeurs autrement que par des Requêtes réitérées , par des Remontrances humbles , reffeclueufes , toucha^ites , capables d'attendrir tous ceux qui auroient eu encore un refte d'humanité dans le cœur \ ([u' il ait pratiqué a la lettre le précepte Chré- tien de prier pour fes perfecuteurs \ qu'il ait continué jufques auboutd rendre ferviced ceux ([ui drcffoient li fes yeux l'ap- pareil de famine \ qu'il fe foit fait un devoir d'être fidèle a ceux qui luy juanquoient de foy tom les jours ; c'e^ ce que peut* être les fiecles a venir auront de la peine a s'imaginer : & je ne fay inême fi le témoignage de l'Hifloire fera fiffifant , pour perfuader a un Lecteur un peu difficile toutes les cir confiance s d'un événement fi extraordinaire.
Comme il y a des chofes tr'es-fauffes ciui fe couvrent quel- quefois fi heureufement des apparences de la vérité , que les plm prudens & les plus circonffeâs peuvent s'y tro?nper , il y a
quelque*
TREFACE GENERALE,
quelquefois aufjîdes verifez^ a qui je nefay qmy de rare & cP in- ouï fait perdre la vraifemhlance : & ïhnefemhle que cela peut bien i' appliquer a la perfecution dont je me charge de rejidre compte au public. On pourra bien douter quelcjue jour des faits les plus fignalez qui regardent cette Hijloire ; puis que ceux mê- me qui les ont vus^ qui en ont fait defenfibles expériences^ ont de la peine a les croire-, & nepeuvejit comprendre que le fruit d'aune longue fidélité^ de plujieursfervices import ans , d'une innoaence au def[us de tous les reproches , d^ une Joumijfion a toute épreuve^ & principalement d'une invincible patience -, ait été la neceffité de renoncer aux douceurs & aux commoditez d'aune agréable pa- trie-, d'abandonner Tes biens érfes avantages temporels-, de per- dre laplusprecieuje & la plus naturelle partie de la liberté , qui eB celle de fervir Dieu félon la règle qu'on eBperfuadé cju'il en a dominée -, & de chercher enfin feus une autre Domination , &. dans un air étranger , ce qu^on fe voyoit cruellement refufépar les ordres de fen T rince naturel , &par ceux avec qui on avoit refpiré un même air depuis la naiffance. Il esl arrivé quelque- fois qu'ion a pu prendre pour prétexte de femb labiés cruautez^ les faâions & les entreprifes politiques de ceux contre qui on les a exercées -, é* comme le fervice de Dieu a fouvent fervi de voile aux ambitieux -, pour couvrir le deffein de leurs brouillerieSf Une faut pas s^ étonner qu'ion ait quelquefois fait valoir cette r ai fon contre ceux de cjui on vouloit détruire la Religion^ quoy qu'ails n\*uffent au fond nu Ile penfée qui tendît a troubler le re- pos public. Mais iltPy avoit rien de tel qui put donner la moin- dre couleur a la dernière oppreffion des Reformez. Ils n'^avoient pliLsniProteBeur ^ niarjjieSj ni villes ^ ni union: ér la crainte au'' ils avoient de donner une occafton de les perfecutcr a ceux qui la cher choient depuis filong-tems , les obligeoit a porter Vo- beijfance jufqu^au dernier fcrupule. On leur avoit tant prê- Tome î. c cM
TREFACE GENERALE.
ché que la fermeté de la parole Royale ^ & la bienveillance de leur Souverain , valoit mieux pour eux que toutes les Places de fureté , qu'ails évitoient ayec de grands foins tout ce qui pou- voit les en rendre indignes. On leur avoit oté les moyens de fè fignaler dans les emplois publics , parce qu'on les avoit ckcIus peu a peu de la plupart des Offices qu'ils auroient été capables de remplir : mais dans les Charges dont on n' avoit pu fe difpenfer de les pourvoir , parce qu'elles leur étoierit affectées par les Edits ; dans les emplois des Finances , o)i leur exaâitude & leur fidélité les ont long-tems jnaintenus ; dans le commerce , dont leur intelligence & leur bonne foy leur avoient attiré la meilleur, re partie entre les 7nains \ dans la guerre , oïi on les voyoit cou- rir aujjî-tôt que lefervice du Roy les y appelloit ; dans toutes les chofes^ en un mot ^ ou il leur et oit permis de fe diflinguer ^ il n'y avoit point de François qui te7noignaffent plus de zèle qu'eux pour la gloire de leurTrince^ ni qui fiffent plus d'honneur a l'Etat par leurs aâions. Jepourroïs faire icy un dénombrement ajfez confiderable de ceux qui depuis la prife de la Rochelle , avoient forcé par leur mérite &par leurs fervices , tous les oh- ftacles cjue la Religion formoit a leur avancement ; ^ ér étoient parvenus aux premiers emplois de la Robe ou de l'Epée. On fait que les plus belles avions du Maréchal de Turenne y & celles qui avoient le plus profité a l'Etat , avoient précédé fin chan- gement de Religion. Mais je ne puà taire que dans le tems mê- me de la revocation de l'Edit de Nantes , les deux plus grands Capitaines qui fufient au fervice de la France étoient Refor- fnez. Le célèbre Maréchal de Schomberg avoit porté la réputa- tion des armes de fon Maître auffiloin qu'elle pouvoit aller : ér apr^es la mort du Maréchal de Turenne y ons'efiijna heureux de trouver en luy un homme qui pouvoit fiutenir la gloire du Roy , fort ébranlée par une fi grande perte. Le feu Prince de Condéy i!i qui
/PREFACE GENERALE.
quifavoit juger de la capacité et* un hofume de guerre , ne faU foit pas difficulté d"* égaler Pun a l"* autre , & de trouver mêine dans le Maréchal de Schomberg je ne fay quoy de plus vif^ de plus prefent , de plus promt , quand il fallait prendre party dans une rencontre imprévue. Le Marquis du Quêne ^ qui commandoit les forces maritimes de la France , n"* avait plus perfonne depuis la mort de l'Amiral de Ruiter , qui luy difputât le premier rang dam cette profejjion. De forte que le mérite avoit élevé deux Reformez , malgré la haine qtt^on portait a leur Religion , aux plus hautes dignitez de la profejjion militai-- re^ par mer & par terre.
Quelle apparence que dans un tems oïi tant de chofes par^ latent en faveur des Re farinez , on ait entrepris , on ait achevé leur ruine ? Qj^on ait pris pour les détruire un teins ou Nn ne pouvait ni les accu fer de rébellion , ni les regarder comme inuti-^ les a PEtat ? On 7ie s'' imaginerait pas fans doute a cent ans d^i-- cyy que la France ait voulu deiiatretems s* expofer par cette injujtice aux reproches de toute P Europe : ou du moins on fuppo^ ferait qu^ il y aurait eu quelque raifon cachée ^ de traiter avec tant d* inhumanité des gens , qui par leur efprit paijible , pour ne dire pas maintenant par leurs fervices , fembloient mériter toute autre ehofe. On ne foupçanne pas aifément qu'ion exerce contre quelqu'un toutes les fureurs de la haine , fans avoir au mains un Jpecieux prétexte de le haïr. Quel moyen donc de croire^ qu'on fe fût porté en France a des rigueurs ex trêin es contre un million de perfonne s innocentes , par la feule raifon d'une haine mal fondée ? Ce il néanmoins tout ce qu'on peut dire des motifs de la dernière perfccution. La haine feule , jnais une haine fans caufe , fans prétexte ^ fans excufe , l'a excitée contre un peuple fans defenfe , qui ne cher choit il vaincre cette àverjion de fes ennemis , que par la patience é'par les fer vi--
c % ces.
"PREFACE GENERALE.
ces. Ilefl jujle fans contredit d'en inftrnire clairement la pofi-^ terit.é , afin qiCelle feit en état de porter un jugement éciuita- ble fur un événement fi peu comînun : & qu'^elle fafie la même jufiice aux auteurs de ces cruautez , que nous fatfons aujour- dhuy a ceux qui en ont dominé le modèle dans les premiers fiecles du Chrifiianifjne ; ou fom le Règne fanglant de Charles IX.
Mais outre cette rai/on générale de conferver la mémoire de cette perfecution ,- il y en a deux autres qui ?neritent d'être con^ fiderées. Vune eft que ceux qui Pont confeiUée', ont tâché de pré- venir lapofleritéfur ce fu]etpar divers artifices. Je nefay com- bien d'' Ecrivains , gagez pour deguifer les affaires , érpour oter a la vérité fin poids érfa ma'] eft é naturelle , ont rempli l'Euro- pe décrits fort propres d faire que ceux quiont fiujfert aujour- dhuy tous les effets de la violence & de finjuftice , foient encore un jour blâmez comme des criminels , pour qui on a eu beaucoup de clémence. D'un coté on les dépeint avec les plus noires .& les plus affreufis couleurs. On exaggere avec une éloquence enve- 7îimée tout ce qui peut donner un prétexte de les accufer \ & ne trouvant rien dans leurs aâions qui puijfe fervir de fondement aux inve&ives , on en va chercher des raifons dans leurs pen- fées 5 dans leurs defirs , dans leurs inclinations , qu''on décrit d'aune manière fort odieufe. On leur irnpute un efprit brouillon^ faBieux , inquiet \ des fnaximes Républicaines ; de faverfion pour la Monarchie \ une herefie incompatible avec le repos des Etats 5 & qui in (pire un génie ambitieux , etttr éprenant , tou- jours en aâion , s'il ;/Vj7 reprimé par une force majeure . A la vérité cette accufation femble démentie affez hautement par le longrepos ou les Reformez ont vécu : & il feroit bien difficile a ces calom7iiateurs de dire y ce qu'' eB devenu cet ejprit fcditieux & remuant pendant cinquante-cinq ans : cojnment il a pu laif- fer perdre Nccafion d^une Minorité , & d'une guerre civile >
fans
"PREFACE GENERALE, fans profiter d^im teins fi coimnode : comment il n^ a point éclaté durant trente ans d'une opprejfion fort douleur eufe ? Il feinble qu'ail y a de la témérité dans une accu fat ion fi importante , quand Un'' y a point de preuves de fait qui la foutiennent , à* qiC elle 11' efl appuyée que de f impudence de fes atiteurs. Mais cela 71* arrête pas des Ecrivains qui font payez pour débiter des impoflures , & qui fe coiifolent de P affront d'un démenti , par l'ejperance de trouver parmi les autres quelques Leéleur s cré- dules-^ qui fans fe donner la peine d'' examiner la chofe ^ s'en rapporteront a leur bonne foy. Dhm autre coté on exténue les fujets de plainte qu'ion a donnez aux Reformez durant tant d'années. On ne parle que de moyens doux ér charitables^ qiCon a employez pour les ramener de leurs erreurs ; que de foins pa- ternels , que d'' excitations fpirituelles. On ne voit pas paroi- tre le moindre livre , oïi l'Auteur ne trouve le fnoyen d''en glijfer quelque mot , ir de dire qn^il n''y a rien de plus charitable & de plus Evangelique , que les expediens dont on s''eB fervi pour la converfion des Hérétiques. Cette faujfe té efl devenue une partie efifencielle des Epîtres Dedicatoires. Il fembkroit qu''il y mancjuât quelque chofe , fi on n''y faifoit entrer , a cjuelque prix que ce (oit , V éloge de cette nouvelle efpece de tendre fié & de bienveillance , qui ne fe fait connoître que par les condam- nations d amende honorable ou pécuniaire , les emprïfonnemens^ les confifcations ^ l'exil-, les galères^ les gibets ^ la roué ^ & d^ autres femblables douceurs. Mais comme on n'''a ofé fe pro- mettre ^ que tous les hommes priffent ces extrêmes violences pour des marques de charité , on a pris aufiun autre tour pour contenter ces efprits difficiles , qui appellent la cruauté cruauté^ ér finjuftice injuflice. Ils'e^ trouvé des Ecrivains capables de nier des faits connus de toute l'' Europe ; é' de crier a Pimpofiu- rcy quand ceux même qui portoient fur leur corps les fnarques
c 3 de
TREFACE GENERALE,
de leurs Joufrances , en ont fait des plaintes dans les pais étrangers. On a ofé démentir les yeux & le te?noignage de tous ceux qui ont vu ce qui s^B pajfé \ comme s'il n'^y avoit pas eu non feulement un nullion de gens qui en et oient la preuve vivan- te , mais une infinité d'^AB es publics , qui faifoient foy de tout ce qui étoit arrivé. Enfin pour n^ oublier rien de ce qui pouvoit deguifer les chofes ^ il y a eu des auteurs qui ont voulu faire paffer toutes les inju/lices , toutes les violences , toutes lesfrau^ des qu'ion a faites aux Reformez ^ pour des effets d'une jufticç exemplaire. Si on leur a oté des lieux d"* exercice , on Va fait , difent-ils , parce que ces lieux et oient ufurpez \ fi on les a gênez par mille Ordonnances f a ch eu fe s , rVi? , difent-ils , parce qu'on leur a retranché des libertez qu'ils avoient prifes , fans quil y eût rien d'exprès dans les Edits qui les autor'ijat d'en jouir : fi on les a jouez inhumaiyiement par des confirmations de fEdit , & des promeffes de Pobferver qui le violoient dans f es plus effen* cielles concevions ^ ce font ^ difent-ils , des interprétations de fon véritable fens , qui avoit été malentendu : fi on les a tour- mentez par mille procès perfonnels 5 par des logemens de gens de guerre , a qui on permettoit de vivre a difcretion , par di- vers outrages^ par divers fupplices ^ c'efi^ difent-ils j parce qu'ails P avoient mérité , en faifant des chofes qui leur avoient été défendues par les dernières Déclarations, En effet on don- noit des Déclarations exprès , pour leur faire un crime des chofes ou les plus innocentes , ou les plus indifpenfabks , afin qti'on fût ajfûré d'' avoir toujours un prétexte de les mal-traitter , parce qti^ih auvoient fait quelque chofe qu'ils ne pouvoient évi- ter j ou qu'ils éîoient obligez en confcience de faire pour leur propre falut , ou pour celuy de leur s familles, C'eft ainfi qu'on les a condamnez aux galères , quand ils ont voulu fortir du Royaume , ou envoyer leurs femmes & leurs eh fan s dans des
lieux
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"PREFACE GENERALE.
lieux de fureté : qu'on les a ruinez par des gartiijons , ou traU nez de cachot en cachot , ou tranjportez dans un autre tnonde y quand ils 07ît r e fufé d"* aller a la, Mejje. Vun leur étoit defen^ du y l'autre leur et oit commandé. Tout le mal qu'ails ont fouf^ fert pour y avoir defobei f n^étoitdonc^ dit-on^ qtiune jufle peine de leur defobeïjfance : co?mne Ji c'' étoit un crime effeBif^ que de ne s'^ahftenir pas des chofes injujlement défendues , ou que de ne faire pas celles qui étoient injujlement commandées» Tous ces artifices , & d'' autres femhlahles , peuvent tellement changer le dehors des chofes , qu'' il fer oit impofjihle que la polie-- rite en fût jamais bien informée , fi on ne f'e donnoit la peine de les luy reprefenter dans leur état naturel , ér dans leurs verita* blés circonjîances.
La féconde raifon d'' écrire t'HiJloire de ceséveneffienS'i eB qu'ion ne voit rien depuh la mort de Henri le Grande (fui donne une exaBe connoiffance des affaires de la Religion , par rap^ port aux Eglifes de France, tAvant cela on trouve afjez de Mé- moires^ ajfézd'^ écrits^ ou les affaires de cette nature font ex-- pliquées ; & comme les Catholiques ont fait de gros Volmnespour donner le tort de tout aux Reformez j ceux-cy ne font pas de^ meurez muets , & rCont pas manqué de fe bien défendre. Il y a eu de part & d^ autre des Ecrivains pajftonnez , qui ont parlé des affaires générales avec violence , & qui ont outré les plain- tes ér les inveBive s. JMais il y en a eu aujjîde plm modérez^ qui ont traitté les mêmes chofes dUme manière plm modefle & plus équitable. Le Trefident jaques ^Augufie de Thou^ & l'^Hifforiographe Jïiezerai font du nombre de ceux qui 07ît écrit fur ce fujet avec le plus de douceur & de retenue : &fi dans le tour qu'ails donnent a leurs récits on reconnoît bien qu'ails font Ca- tholiques , ér prévenue en faveur de leur Religion , il ne laiffe pas d''y reluire une bonne foy , dont un LeBeur érfuit cible peut
fi
TREFACE GENERALE,
fe cont-enter. Oh dcmêle aifément dans le ftile de ces Hi/forienSj ce qui esî tnipiré par le zèle de Religion , ér ce qui eB la vérité toute pure & toute nue : & le fait étant naïvement récit é ^ le juge?nent de l' Ecrivain n' ôte 7î perfonne la liberté d'être d'un avis contraire. 3iais depuis la nwrt de ce Prince il n'^y a plm cŒifloire fidèle, Tlufieurs Catholiques ont écrit ce ciui s'eB pajjé fouj le Règne de Louis XIII: maisilsont mêlé a leurs écrits tant de violence & tant de fureur , qu'ion 7ie peut même lire leurs livres fans impatience. Ceux qui en voudront faire nnejfay ^ n''ontqu^d jetterlesyeuxfurli-M'A.oiïQ de la Rébel- lion , ou fur celle de l'infidèle Du Tleix. Ceux même qui ne fe font pas portez aux mêmes excès que ces Auteurs du plm bas rang , n'ont pas néanmoins gardé a fez de mefures , pour méri- ter le nom d'équitables: & ils ont rempli leurs écrits de tant d'exprefons enveiiimées ^ de tant de reflexions malignes >, de tant de témoignages depafion & de haine , que ce caraâere per- pétuel d^ aigreur & de partialité les rend fufpeâs dans tout ce qu'ils difent 5 & fait qu'on n'ofe les croire même quand ils difent vray. h^s Reformez n'' ont pas eu le foin d'oppojer de meilleures Hifioires de leurs a f air es a ces Hifioires injurieufes : & il fem- h le c[ue par leur filence ils ayent autorifé les inve clives de leurs opprejfeurs , com??ie s' il n'y a voit eu rien de folide a leur repon- dre. A la vérité il y a eu quelcfues perfonnes ou chargées ^ ou approuvées par les Synodes Nationaux , qui ont entrepris de re^ cueillir les Meinoires des évenemens import ans qui regardoient la RefK^ion : 'mais les uns ont écrit avec'plm de zèle que de lumiè- re ; les autres ont été obligez d'abandonner leur entreprife , parce que le tems ne per7?iettoit pas de dire fes fentimens avec liberté. Les dcffeins formez avant le commencement desguer^ res civiles fous Louis XIII. ne pouvaient plus être exécutez avec fureté , après que les projperitez de ce Prince eurent fait per- dre
TREFACE GENERALE.
dre aux Refor?nez la force & le cœur, Cétoit alors un crime d'Etat , de dire que la Cour avoit ?nanqué de parole. Excufer les aclions de ceux qui avoient pris les armes , ou faire voir la juflice des plaintes qu'ion avoit a faire fur tant de contraven^ tionsaPEdit', que la Cour n'* avoit jamais voulu réparer^ rV- toit affez pour expofer un homme aux peines des plus infâmes re^ be liions. Depuis que le Roy co?nmença a faire des affaires aux Miniflres , fous le prétexte qu'ails avoient commis ou dit quelque choj'e contre fin firvice \ & que les moindres pm'oles quifepou^ voient prendre en un mauvais fens , leur at tir ère fit des defefi^ fes de fe trouver aux Synodes \ des commandemens d'attendre de nottveaux ordres dans de certains lieux , qui leur étoient don- nez pour prifon ; des iîiterdiâions de leur Jiiiniflere dans le Royaume \ des menaces dun traittement plus fevere Ji Ncca- Jion le demandoit-, il ne fe trouva plus perjonne qui ofât fe charger d'' apprendre auhuhlic ces veritez , f mal reçues par ceux qui s'en tenoient offenfez , & fi fatales a ceux qui avoient la hardieffe de les débiter. Ce n'^eBpas le tems de faire fin apo- logie ^ quandon esî réduit pour fe c on fer ver a paffer condam- nation fur toutes chofes , ér a tenir compte a fes eymemis comme dhme grâce , de ce qu'ails donnent la vie a des innocens , a con- dition qu'ils fe confejfent coupables. Tel a été néanmoins l' état des Reformez^ depuis qu'ils n'ont plus eu déplaces de fur été, Defarmez , défunts , vaincus , ils étoient obligez de parler de leur propre conduite comme les vainqueurs en parlaient j de con- damner avec eux tous les mouvemens du pajfé , comme fi 'fa- mais on n' avoit eu ni de juftes craintes , ;// de bonnes rai fins de fe plaindre : & de les rejnercier comme d'une faveur precieufe^ de ce qu'apfes avoir oté aux Eglifes tous les nwyeîis de fe main- tenir , ils ne les avoient pas encore tout a fait exterminées. Il ne faut donc pas trouver étrange que dans un tems ou il et oit fi Tome L d dan^
"PREFACE GENERALE, dangereux de dire vray , àrfi^iecejfaire de garder lefilence , on n'hait pas écrit /' Hi/loire des Reformez , qui jie pouvoit manquer de jetter fou ^Auteur dans de fâcheux embarras. Jetais corn- me la venté devient quelquefois moins adieu fe en vieiliijfant , // fe trouve avec le tems plus de fureté a la dire 5 & on fe donne la liberté de la tirer des ténèbres , ou la terreur des peines avoit contraint de la retenir.
Ces diverfes canjiderations m"* ont fait fouhaitter il y a long-^ tems y que quelque perfmne capable fe donnât la peine de tra^ vaille-^- à une Htlioire Ji nccejjaire \ & d'oppofer a tant d'' invec- tives dont la conduite des Reformez a été noircie depuis foixante & dix ans , ou le récit nàif & fincere de ce qui leur eB arrivé , ou P Apologie des allions qui ont donné le plm de prife a leurs ca- lomniateurs. Je ne doutois point qu''ilne fût defavanîageux j de laiffer parler feuls fur cette 7natiere ceux qui avoient in- térêt a tromper le monde \ & qu'Hun jour les Reformez perfe- cutez avec tant de violence y d^injufice , de mauvaife foy , ne fuffent encore expo fez aux plws fâcheux jugemens de la pofle- Vite y Ji ellefii^étoït in for?née des peines qu'ails ont foujfértes que par les livres de leurs ennemis. Elle n''y trouver oit que des Ta- neo^yriques outrez y ([ue des éloges hyperboliques y ([ue des com- parai fbns étudiées de ces longues chicanes , oir de cette oppreffion infultante au:i plus belles actions des plus grands Héros : ér elle ferait fort ex eu fable , // au travers de ces degnifcmens elle nereconnoifjoit pas l'innocence des malheureux y dont on n^ au- rait pas eu le fjin de luy conferver de bons témoignages. Il esî vrayqueksRc^iîresduCoufeily desParlemens^ de toutes les furifdiclions fouver aines & fubalternes , font pleins cfAâes ^dont la feule leciurepeut fervk de preuve a l^in?iocence de ceux même contre qui on les a drefjez : & qu'on en a pajfela plupart avec fi peu de précaution -> qu'ils font bien plat Ci des denion^
flrations
9REFACE GENERALE,
({rations de la mauvaife foy des accufateurs , & de la honteufe complaifance des Juges , que des preuves du crime ifnputé aux accufez. ,!Mais premièrement ^ il eBimpo(Jible que dans /V- tat oïl font les chofes , quelquUm entreprenne de rajfembler ces Aâes , doiît la recherche jnême r endroit fulpeâ celuy qui la voudr oit faire : & il eB encore plm incroyable ^ qu"* a cent ans iPicy quelqu'^un fe fit un f grand devoir de ju fît fier des inno^ cens , qu''il voulût bien fe charger cYune perqnifition qui ne pourroit reujjtr qu'^avec beaucoup de foins , de tems , de tra* . vail & de depenfe. D'ailleurs la Politique de VEglfe Romaine efî connue a toiit le monde. Elle fait bien fupprimer les chofes qui font capables de luy faire tort. On ne trouve plus aujour* dhuy dans les Regitres une infinité d^AHes , qui luy ayant été utiles dans le tems qu'ails ont été paffez , luy ont fait honte dans la fuite. Elle a caché par ce moyen la four ce de la plus gran* de partie de fes îfurpations. Elle a réduit ceux qui ont voulu remonter jufqu'^a P origine de la corruption , qu'acné a introduite dans toutes les parties de la Religion , a rejnuer toutes les Bi^ hliotheques de P Europe , pour trouver quelque monument qui découvrît les occafions & le progrès de fes entreprifes. Elle ^ même fi bien reiiffi dans plufieur s chofes important es ^ qu\Ue a rendu de certains faits prefque douteux ér problématiques y quoy qiPelle n'hait pu po^'ter le fuccés de fes foins jufqu''a leur Ster un c'ara&ere de probabilité & de vraifemblance , qui dans les chofes dont le reproche fait rougir ceux qu'ion accufe de les avoir faites , donne un légitime foupçon qu''ils en ont fupprimé les meilleures preuves. CV/? peut-être ainfi quelle a préparé a fes Ecrivains le droit de mettre en doute l hifloire fameufe de cette fentme , qui occupa , dii-on , durant quelques années le Siège de Ro?ne , fouF le nom de Jean VI IL fefroà touché ' de quelcpies obfervations hifioriques^ qui femhknt détruire ce
d 1 qu^ou
T RE F ACE GENERALE,
qu'ion en dit , Ji je nefavois bien que la prudence de fuppvimèr les inonmnens des chofes hont eu/es , ér. d'' embrouiller par quel^ que fau/fe date , ou par l"" altération de quelque parole decijive les circonjlances des faits odieux ^ îî'eB pas une prudence nou- velle. Mais quand je joins a cette conjideration tant de preu- ves plus que probables-, qui fervent de fondement a cette hijloi- re , j"* avoue que je me trouve apeupr^es convaincu de fa vérité. Dans les chofes de cette nature t le jujle foupçon qu'on a de la mauvaife foy des accufez , quand ils ont de fa été fouvent con- vaincm d'avoir aboli les monumens par lefquels la vérité des faits et oit confervée , fait fans contredit contre eux une preuve imparfaite : mais quand il e^ foutenu d'ailleurs fur le fait en que/lion , par une multitude d'indices prejfans & de fortes pre- fomptions , on ne peut nier que cette preuve imparfaite ne de^ vienne équivalente a une bonne démon flrat ion, \
Mais pour ne m' engager pas dans une digreffion inutile , fa- jouterai feulement que l'illuflre Auteur qui a écrit l'Hifloire de la Re formation d'Angleterre , a bien fait plus d'une fois l'ex- périence de ce foin que les Catholiques ont prù , d'abolir la me-^ moire des chofes dont ils ne vouloient pas que la poflerité fût in- flruite \ & que les Regitres publics defonpaïs qui dévoient être inviolables , n'ont eu rien de facré pour eux , quand ils y ont trouvé des AH es qui ne leur et oient pas avantageux. Je con- clus delà ([u' on trouveroit peut-être a cent ans d'icy\ que les Jejuites auroient pris les mêmes précautions , pour abolir la mémoire des injuflices qu'ils ont faites ou confeillées ; & qu'ils n' auroient rien laiffé dans les Regitres publics de ce qui pourrait donner la conmiffance , de ce qui s'eB paffé de nos jours en France touchant la Religion. De forte que je ne puis que /> n'efïme necejfaire de prévenir l'effet de ces ar- tifices^ & de mettre au jour , (^u moins par forme d'Apolo- gie 5
"PREFACE GENERALE.
gie ^ des preuves de P innocence des Reformez ^ é* de la fnau-- vaïfe foy de leurs ennemis : afin que fur les faits qu'ion ne peut nip' ni départ ni d^ autre ; & fiir les inveélives des accufateurs^ &les defenfes des accufez ^ la pofterité p ni jfe rendre un juge- ment plm équitable. J'^eus lieu d^f^erer-^ il y a quelques années-^ que je verrois mes Jouhaits accomplis^ quand j"^ appris qu^un homme dont le 7iom efi célèbre dans toute l"* Europe , & de ([ui les Ecrits ont fait admirer , même a fes adverfaires , fa péné- tration , Jôn exaBitude , fa bonne foy ir fa folidité , fe char- geoit de ce grand Ouvrage. Mais quelques raifons luy ayant fait changer d'avis , fay été obligé de prendre Jà place , & de fu"* expo fer a reïijfir mal dans une entreprife trop au deffus de fnoy fans contredit , puh qu'acné auroit été digne d'un Ji habile Imnme. Je ne tâcherai point de prévenir les efprits en ma faveur , par d'humbles excufes de ma témérité ; & de les difpo- fer a me pardonner les fautes que j'' aurai pu faire dans un fi pénible Ouvrage ^ en confie ffant par avance que je ne fuis pas impeccable , & en déclarant que je me foumets a leur cenfure , pourveu qu'ails la prononcent avec équité, f^e fay bien ce qu'ion a dit autre fiois , & ce qu'ion peut dire aujourdhuy a ceux ([ui tâchent de gagner la bienveillance du Le&eur par cette métho- de. Il va adroit 7meux s'^abfienir de fiaire des fautes , dans les chofis dont on eB le maître^ que den demander pardon^ pour les rendre plus tolerables. ffaurois pu ne me mêler point décrire^) puis que je ri' y et ois pas contraint: & fii favois eu peur de ne plaire pas a tout le monde dans un Ouvrage de cette importan- ce ^ ilnetenoit ([u^imoy de ne déplaire a per faune ^ ér d'éviter toccafion de faire des fautes , que perfonne ri'aura peut-être la bonté de me pardonner. Une fia lioit pour cela que demeurer en repos , àr n'' écrire point. 3iais f avoué cjue la crdmte de voir abandonner le dejfiein d'une Hi/Ioire fii necefidire , a été
d 3 plus
TRE FACE GENERALE.
plus forte que toutes les conjiderat'wns qui auroient pu me de- tourner de P entreprendre 5 & que fay cru plus utile pour lepu^ h lie , de luy donner un Ouvrage tel que je fim capable de le pro- duire fur cette matière , que de le laiffer malinformé d'aune aujji pitoyable révolution^ que celle qui eft arrivée aux affaires des Re- formez. Ce qui ;//' a le plus confirmé dans ce fentiment , eft que d'autres perjonnes ayant travaillé fur le même fujet peu de tcms avant que je m'y fois appliqué , fay trouvé dans leurs Ecrits trop d'apologie^ & trop peu dh'iftoire y ([uoy que fy re- warquafje beaucoup de folidité.
Or c\ft la ce qui m'a paru principalement indifj>enfable , en écrivant ce qui s' eft pajfé pour ér contre les Reformez^ que de donner une ]u(le étendue aux faits qui les regardent 5 afin qu'il foit plus aijé en les confiderant de tous les cotez ^ avec leurs cir- conftances les plus re^narquables , de juger s'ils font des marquées d^un efprit faBieux , libertin , remuant , comme les ennemis de la Religion le publient ; ou des effets cP une prudence necejfaire^ ér d'une précaution légitime , comme les Refomiez le préten- dent. Quand on lit une Hiftoire abrégée , les faits trop nuds értropjlmples ne donnent pas affez de champ au jugement du Leâeur \ érpour dire (on avis fur ce que l'Hflorien luy expofe , il demande fort fouvent a connoître des cir confiances que la briè- veté du récit luy cache. Il eft aifé d'expliquer par un exemple ce cjue fentens. Si quelqu'un trouve dans les Ecrits d'un Alaim- bourg-) d' un Soulier >) d'un La Croix ^ ou d'autres femblables ^Auteurs , qui n'ont pris la plume que pour rendre les Reformez odieux ; // quelqu'un , dà-je , y trouve en abrégé que les Refor- mez ayant per/everé huit ou neuf ans dans la pour fuite de cer- taines Recjuêtes , que le Roy Louis XIIL ne trouvoit pas bon de leur accorder , ce 'Prince tmportmié de leurs follicitaîions , prit ks, mines pour les réduire a fa volonté ^ leur ut a leurs Places
d'otage-,
TREFACE GENERALE.
d^ otage-, rompit kîir union ', les depotiilla de plnjièurs de lettre' privilèges : voilà un fait fort véritable , mais dont la brièveté ne fatkfait pas le Le&eur. tAfin qu'ail juge de la chofe avec con^ noijjance-f il faut qu'ail foit informé de la. nature des chofes de^ mandées par les Reformez , é" des raifons de les demander avec tant de perfeverance : il faut qu^iljàche fur quoy la Cour fon-* doit fes refus \ & quelle occafion elle eut de prendre les armes , pour arrêter le cours de ces demandes dont elle et oit importunée.. On ne peut favoir fans cela ^ fi lesRefor?nez aboient de piflei terreurs \ fleurs plaintes et oient légitimes \ fi les refus de la Cour venoient plutôt de fa ?nauvaifè volonté , que de finpiftice des Requêtes: ni par confequent juger fit les Reformez ont été ou punis comme des rebelles , ou opprimez comme des innocem malheureux , par la guerre que la Cour leur a déclarée. Il faut donc développer ce fait aux yeux du Le fleur; luy expUc[uer de quoy les Reformez fé plaignoient ; pour quoy ils fe donnoient tous les jours de nouvelles craintes ; par quelle raifon ils accufoient la Cour de n'' avoir f as de bonnes intentions pour eux , & de ne cher*- cher qu'Ali les fiurprendre pour les détruire. Le Leclcur ayant appris par ce moyen rétat de la que [lion ^ eft en droit de piger s'ils ont eu de vaines terreurs^ ér fi la Cour a eu raifon ckles accabler alors. S'il ne prononce pas avec équité j ce 7f eft plus la faute de PHiftoire ', parce qu"" elle luy a donné ajfez de lumie-^ re pour juger avec connoiffance.
Cette remarque pouvant être appliquée à tous les faits un peu import ans qui regardent la Religion , j''ay cru que ce n'^étoit pas afiéz que de donner au public une Hiftoire abrégée des mah heurs desEglifies de France-, qu''ils meritoient bien cfêtre de^ crits avec étendue ; qu^en prenant la chofe des P origine , & marquant le progrés ér Penchaînew,ent de ce qui leur eft arrivé de bien ir de mal , non feulement la diverfité r en droit la leâure
de
T RE FACE GENERALE,
de l^ Ouvrage plus agréable ; ?nais le détail des plus importan- tes clr confiances la r endroit plus utile \ ér fcrviroit cPun plus follde fondement a P Apologie de ces Troupeaux defolez , qui rcmplijjent aujourdhuy toute P Europe de leur débris. Je me fuis donc propofe de faire ce que fay vu que nul autre n^^itre- prenoit ; &pour donner lieu de juger plus famement fi la révo- cation de l'Edlt de Nantes^ que nom avons vu faire de nos jour s j eft un aHe de jufnce & de bonne foy , j'^ay tâché de rapporter tout ce cjue fay pu fivolr de la 7nanlere dont lia été pourfulvi , obtenu , public , exécuté ou violé , pendant qii'on a eu quelque reJpeB pour fon nom àrpour fon Auteur. ^Je me fuis engagé par ce dejfeln a écrire PHlfiolre de ce qui s'efi pajjé en France a Nccafio/i de la Religion , depî/is Luther jufques au teins que cet Edlt fut donné : afin qu''ll fût plm alfe de connoitre quel droit les Reformez avolent eu de le demander ; quelles raljons les ont obligez de s"* en contenter \ pourcfuoy H y a eu tant de conte fi a- tlons fur quelques-uns des articles qu'il contient \ d'où vient que le Roy eut tant de peine a l'accorder , le Clergé tant de regret d'y confeutlr , les 'Parlemens tant de répugnance a le vérifier. Il a fallu pour cela faire voir cpielle figure les Reformez fal^ folent dans le Royaume \ quelles llalfons Us avolent avec le Roy quand II vint a la Couronne ; qui et oient leurs a?nis ou leurs en- fiemls\ quelles étoleîit leursralfons ou d'elperer ou de craindre. J'ay cru c[u'll fujfrolt pour ce deffeln , de reprefenter en peu de mots les évenemens les plia Import ans & les plus Incontefiables , depuis la Reformation jufqu'd lamort de Henri IIL parce que c'en esl a (fez pour donner au moins quelque idée & cfuelque goût des affaires générales de ce tems-la. 3iais II m' a fcmblé que je devols étenare plus au long les évenemens qui appartiennejit au règne de Henri IV. parce qu'Us ont tant de llalfon avec les affaires de l'Edlt , que fans les f avoir un peu nettement ^ il
fer oit
"PREFACE GENERALE, fero'it maUaifé de juger combien cetEdït étoit juflc ^ f^g^é* necejjaire.
C^ projet qui ni' a fait entrer dans une Hi/ioire de plu^ de quatre-vingt s-quinze ans , fans parler de l^ abrégé qui contient celle de plus de foixante & dix autres , a rendu ma peine plus grande ; c^ nî'a donné plus de lieu de craindre que je ne fujfe pas capable d'un fi grand effort. Je connois affez mes forces , pour ne prefumer pas beaucoup dalles. Je ne me pique pas d"* avoir une étendue d'écrit extraordinaire : &je fuis fort con^ vaincu que ni la force , ni la délicat efj^e ne 7ne font pas tombées en partage. Il y a même peut-être de la vanité a me flatter de tenir rang entre les efprits médiocres : ér fi cpuelqu'un trouve que je ne doive pas m* élever fi haut , /V fuis tout prêt a défen- dre encore un degré plus bas. D"" ailleurs fay paffé prefque toute ma vie dans un genre d"^ études ([ui ne me forrnoit pas a écrire PHifloire-^ &?7ion afjiduité a une autre efpe ce d'' Ouvra- ges ne me Mffoit pas de loifir de refte , pour pcnfer a d"* autres chofes. Les perfecutions cjui ont été faites aux Egltfes durant tant d'^ années , 7n^ont caufé en mon particulier de longues , de fréquentes , de fâcheufes diftraBions , qui m'^Oîit obligé a des foins fort diferens de ceux quHl faut prendre ^ quand on fe prépare a devenir Hiftorien. De forte que de ma part je n^ay pu apporter a P Ouvrage dont je me fuis chargé , ;;/ les dons cfun naturel excellent >, ni les lumières d'aune (prit cultivé avec au- tant de foin qu^ilauroit été nece (faire. Je n'^ay pu aquerir la connoîfiance de plufieurs profeffions , dont il faut entendre au moins les termes les plus cofmnuns , pour en parler d'aune maniè- re qui plat fe & qui inftruife ^ lors que Nccafion s^en prcfente. Il m"* a été par confequent impoffible de ne tomber pas en diverfes fautes y par défi us le [quelle s on voit paffer les Lefleurs équita- bles \ mais que lèse (prit s Critiques, qui font toujours en plus Toîue L e grand
"PREFACE GENERALE.
grandnomhre que les autres , ne pardonnent jainais aux au- teurs. Cria pourra foulever contre moy tous ceux qui fe croycnt plus habiles que les autres^ mon pas parce qu'ils font capables de mieux faire-, 7nais parce ([ue n"" ayant jamais étudié dans les livres ([ue les défauts a" autruy ^ ils croyent avoir aquis Part de les relever , & le droit de les reprendre. Je dois principalement craindre ceux ([ui auront intérêt a me décrier , pour empêcher le fuit que mon Ouvrage pourvoit faire -^ s^ilétoit bien reçu dans fe monde. Ce si la coût urne de ces gens-la^ que de s'attacher a ce au' il y a de moins elfenciel dans les livres ^ & de faire beau- coup de bruit des fautes cju' ils y remarquent-, afin ([ue ceux qui lie regardent pas les chofès jufques au fond ^ jugent par la que l'Ouvrage entier esf a rejet ta'. Le fcfuiteTalavicin a trou- vé par cet artifice trou cens foixante fautes de compte fait dans l'Uifioire du Concile de Trente^ écrite par leT.TaoloSarpio. Mais il a fallu pour remplir ce 7iombre faire jouer tous les ref fors de la fraude & de la chicane : faire pajjer pOM' une faute 'capitale une date mal marquée , un certain no7nbr épris pour un autre , fx pour cinq , vingt pour vingt-é'-nn , & d'autres chofes femhlahles\ éfur tout donner comme des chofes qui fe contredifent des faits ([ui peuvent être véritables tous enfem- ble^ è' fuhfijlerr un avec r autre. Quitte croir oit qu'un livre ou on marque 7,60. fautes bien comptées , doit pajjer pour un mauvais livre ? Cependant fi on rabat fur ce Jiombre les pures bagatelles j qui ne changent rien a la 7iature des faits ^ & les meprifes qui ne paroififent jneprifes , que parce que le Cenfeuv qui lesobferve diffimule les rai fous quiles juflifient ^ on verra peut-être tout d'un coup dil}aroître les trou (quarts de ces fautes prétendues \ & le quart qui reftrra ne pourra encore pafferpour bien prouvé , jufqu^d ce (pu' on ait comparé le car aB ère des deux Bijhricns; les raijons qui fondent les oppofitions ou ils fe trou- vent-,
"PREFACE GENERALE,
vent ; les motifs qui ont pu obliger Pim ou l'autre a tromper le mondes ér la pureté des/ourcesou ilsont puifê les preuves de ce qu'ails difent.
Mah je n'a} pa^ cru que la crainte de ces inconveniens dût tn' arrêter. La caufe de la venté ér de t* innocence feroit trop abandonnée^ [ton n'^ofjit la défendre de peur de s"* attirer fur les bras- les gens qui favcnt mentir & démentir avec une égale har- die Ife. Il faut renoncer a écrire pour le public , ou s'endurcir contre ces traverfcs inévitables. Trincipalement quand il eB quejliond^ Ufie Hiftoire , & d'une Hiftoire qui en faveur de l'in- nocence opprimée^ attaque les plus redoutables PuiJJances du monde ^ il faut s' attendre a un orage d'injures ^ de reproches ^ de démentis , & de tout ce qui peut décrier un livre ér fon kAu- teur dans les ef^rits du vulgaire. Co?nme je prévois que cela pourra 77i' arriver , je ne m'en étonnerai pas s'il arrive \ &j'ay truque je ne me devois armer contre ces traits d'une m-alîgnité intereffée que de la Jincerité >, de la bonne foy ^ de l'exaâttu- de \ Jàns me mettre en peine de ce que la chicane & Pimpoflure pourroient me faire d'affaires. On ne doit écrire que pour les aînés bien-faites ; & celles de ce car a cl ère ne jugent des cbojes que par le fond , érpajfent aifément par dejjus des fautes qui n'ont rien d'important ni d'ejjenciel. Ûr j'efpere qu'on ne ine pourra furpr en dre dans des fautes de cette dernière qualité. ^Jf'ay tâché de ne rien deguifer ; & peut-être que je n'ay parlé que trop ouvertement deplufieurs chofes^ qu'un autre aur oit en- veloppées d'un prudent filence. Mais ([u and on ne peut jufli- fier des innocens qu'en révélant des veritez un peu délicates , , il faut neceffairement pajfer par dejfus de certains rejpe cl s , qiion ne peut garder fans trahir la caufe qu'on veut défendre. Cefl la feule ex cufe que je veux faire a ceux qui trouveront que je parle de certaines chofes avec trop de liberté. J'ay cru le de-
e z voir
"PREFACE GENERALE.
voir faire pour être de meillenre foy , à* pour farre mieux cm* mitre aux Leâeurs les four ces des évenemens , & les principes de mes re flexions particulières.
La même bonne foy dont je fais prof efion dans l'Hifloîi'e,
m'oblK^e a reconnoître en ce lieu cpûil peut y avoir des fautai
dans mon Ouvr âge ^ qui paieront pmtr ejfen délies ) & que jere--
connoîtrai peut-être moy-7nême pour telles , quand on me les au^
r a marquées. JHais elles ne me feront point imputées par les
juges équitables^ quand f aurai dit d'houe lies peuvent venir. Il
eB certain que je n'ay pas eu tous les fecours ciui m'auroient été
neceffaires , dans une entreprife au/fi grande que celle dont je fue
fuh chargé. Il y a fans contredit bien des cbofes ([ui me font
échappées par ce moyen , ér qui nt'ont réduit a faire en diver^
fes occajions des récits moins pleins , moins étendm , moins cir*
conftanciez que je ne Pauroà fouhaitté. Le LeBeur pourvoit
demander que je luy euffe donné de plus grands éclairciffemens
fur de certaines matières , ér cfue f eufje prévenu plufcur s (fuef-
t ions qui luy re lieront a fiire^ apr^es cfu'' il aura pris connoiffan^
ce des faits que je luy rapporte, JMai^ je n^ay pu faire mieux ;
é'ilm'^afemblé qu'il et oit plus a-propos de demeurer court fur
d^ certains fujets^ que de fuppléer au défaut desTitres& des
Mémoires par la hardieffe de ?nes conjeêlures, ^e ne p'ctens
pas diminuer par la l"" obligation que f ay a ceux qui m^ont aidé
de plujicurs pièces importantes , & qui par la communication
qu^ils ni^ont gêner eufement doj^inée de leurs livres & de km' s
manufcrits , m'' ont fouryii la principale matière de mon Ouvra^
ge. J''avouêqu^il y a eu beaucoup de perfonnes qui m'^ont en-^
voyé , de cent & de deux cens lieu'és d^icy > tout ce qu^ils avoknS
de propre 7i me fervir: & que comme j^ay reçu beaucoup d^ af"
f fiance de ces lieux éloignez* , ; V9/ de même été bien fe couru par
heaucQHp de curieux de mon voifmage. Les Bibliothèques publia
ques
TREFACE^ GENERALE.
ques & particulières , /es Cabinets des curieux , m les pièces fugitives fe confervent , é'plujkurs autres four ces ou PHftoire peut être puifée m'' ont été ouvertes, ^e no?mnerois avec plaifir ceux qui ni* ont donné ces fe cours \ non feulement parce quil fe^ voit jufle qu* ils part âge affent avec moy la recommffance du pu^ hlic , a NnftruBion de qui ils ont libéralement contribué 5 mais parce qu'ails font aujjilesgarans de ce cpief avance -^ & que le jeul V07n de plufieurs d"* entre eux fufjiroit a de7?iontrer la vérité des Titres d^ ou j'^ay tiré la watiere de mon travail : mais la plu- part ayant dejiré de n'outre pas nommez , }i caufe des liaifons qui leur re fient avec des perfonnes encore fu] et tes a Nppreffion , je ne puis ni leur rendre les témoignages que je leur dois de leur bienveillance , ni tirer de leur nom l"^ avantage epue f en p<iurr(>is prendre , // ]e n^ et ois obligé d'' avoir de la déférence pour le dejir qu'ails ont de demeurer inconnus. Je parlerai ailleurs du Re^ eueil préparé par feu Mr. Teffereau , homme connu de tout le nwnde pour laborieux , exaB , curieux , & fort capable (Ta* maffér ce qui peut fer vir a un grand Ouvrage : ér je ne diffî^ mulerai point ce que f aurai pu tirer de fe cour s des Mémoires qu^il a la\ff}%^ quoyqu^au tems de fa mort ils fe foient trou* vez dans un grand de [ordre. ' Mais ces fe cour s n'^efnpêchent pas qu'ail 71e ni* en ait manqué beaucoup d"* autres y d'^ou j''aurois pu tirer de grandes Imnieres, Lors que le Confcil de France commença la recherche des droits tt* exercice , il trouva bon d'' obliger les Eglifes a produire en ori- ginal les Titres dont elles pretendoient fe fervtr. C/étoit une ehofe fort peu neceffaire au fond ^ comme je Pay remarqué en fin lieu : mais comme on prenoit des me fur es des ce tems-lli , pour iter la connoiffance de ces chicanes a la policrité , on vou- hit fe rendre' maître de tous les mmumens qui pouvoient en conferver la immoire \ & ne lai^er aux 'Reformez que des pie-
e 3 ces
TREFACE GENERALE.
ces dont on auroit lieu de leur conteflerP autorité , parce que ce ne fer oient pa$ des originaux. Le Confeil a retenu la plus grande partie de ces Tilres ; même apris que les affaires ont été jugées. Il y a eu peu d'^Eglifes ([ui ayent pu fe les faire rendre. On dijoit a celles qui avoient perdu leur caufe , que leurs papiers ne pouvoienî phi^ leur fervir de rien ; &on payoit de quelque mauvaife défaite celles qui avoient été plm favorablement traittéeSy ajhi d"* éluder les in flanc es qu"* elles faifoient pour re^ tirer leurs produâious. On leur dijoit quelquefois que le der- nier Arrêt valoit tom leurs Titres j & qu\ainji les autres leur étaient ah folument inutiles. De même dans les dernières an- nées j on s'^avifa de contraindre les Conjljloires a produire tout ce qu'ails avoient de papiers , foit originaux , foit copies : & la moindre pièce recelée et oit une r ai/on de bannir les JMiniJlres , & de démolir les Temples, De forte qu'ail y eut fort peu d'E- glifes cpû ofajfent fe hafarder^, a ne livrer pas tout ce qu' elles avoient d^enfeignejnens & de Titres. Le prétexte de cette ve- xation étoit cpiî'on vouloit découvrir tout ce qiC elles avoient de biens >, a la confifcation defquels leurs perfecuteurs afpiroient avec une grande paffion. Mais une raifon aujfi forte , quoy que plm cachée , étoit qiûon vouloit leur oter tom les moyens de conferver des Meinoires , d^olt la poflerïté pouvoit apprendre la vérité des injujiices qiion leur a faites. Adiré le vray toutes ces précautions n''ont pas empêché qu*ilne foit reflé de quoy for- mer un corps d^Hi/loire ajfez étendu : mais on ne peut îiier qu'^eU les n'' ayent privé beaucoup d'Eglifes des fnoyens de me fournir les fe cour s cpe fen aurais pu atteindre \ principalement celles cjui avoient en dépôt les Titres communs de chaque Province\. D'' ailleurs on peut bien s"* imaginer que les Manufcrits de la Bi- bliothèque du Roy , de celle du Collège des quatre Nations , & de quelques autres ou publiques ou particulières , ne m^ont pas été
com-
TREFACE GENERALE.
mnmuniquez 5 & que je lî'ay pu trouver perfonne qui voulût fehajarder a m\n faire des extraits utiles pour mon dejjein. ^\aurois trouvé la toutes les négociations de PEdit , toutes les in/h'uélions des Corn?niJJ'aires , toutes les intrigues de la Cour dans le tems des Affemblées Générales , tout le projet des guer- res j & des violences que le Confeilde Louis XIII. pr a tiqua j pour la ruine des Reformez, On ne peut douter (pue je îi^eujje trou- vé dans la multitude des volumes de ces Manujcrits des chofes particulières j que jen'^ay pu trouver ailleurs <; àtou jen'*aypu atteindre par mes conjeâures. Mais on peut faire trois conji- deralions pour fe confoler de ce défaut. L J'^ay recueilli le mieux ([ue fay pu des Mémoires qui me font tombez entre les mains Jafubftance des chofes qu'ion auroit trouvées dans ces Ma- nufcriîs plus étendues & plus expliquées ; & j\iy fuppleé par les pièces imprimées , dont on trouve un a fez bon nombre , au défaut des manufcrites. I L Ces Bibliothèques ayant été d^mi facile accès pour tous ceux qui ont écrit contre les Reformez j pour Meynier ^ par exemple ^ Bernard^ Maim bourgs Soulier j la Croix , & autres infatigables pcrfecuteurs des Eglifes de France-, on peut dire que tout ce qu'ail y a de de f avantageux pour elles dans ces Manufcrits , a été rapporté par leurs ennemis dans leurs Ouvrages ; que s'ils en ont extrait peu de chofe , c^efi figne qu'ils y ont trouvé peu de fecours pour leur paffmi \ à* qiCainfi le défaut de ces Manujcrits ne fait perdre qiï'd moy les lumières que fen aurois tirées , pour la jufiifi cation de ceux dont fay entrepris la defenfe. Or il n''y a pas d'' apparence que €eux qui fe font appliquez avec tant de paffîon a nous détruire , me fajfent un grand crime d'avoir o^ub lié quelque chofe qui eût pu mettre leurs injuftices dans une plus grande évidence, III. Si quelque un fe mêle de réfuter mon Ouvrage^ il fau- dra qu^ il tire de ces Manufcrits des armes pour me combattre',
S'il
7 RE F ACE GENERALE,
SHtle fait fans hmie foy , fa reponfe ne me fera pas beaucoup de peine : mais s* il s'en aquitte en honnête homme ^ il faudra qu^ il donne entiers les fondemens de fes re flexions \ & quHl pu- blie par confequent bien des fecrets qui confirmeront peut-être les miennes.
fAu fond ces confidcrations me doivejit valoir au moins dans la caufe que je defens , ce que valent dans le Droit aux parti- culiers les preuves , ou les fortes prefomptions iun pillage , dUm incendie ^ ou de quelque autre accident fans remède^ par lefquelles ils démontrent quHls ont perdu les Titres juflificatifs de leurs prétentions ^ ou des reponfe s qu'ails font aux demandes de leurs parties. Je ftm abfolument dans le même cas. Je prouve que les Titres qtCon pourroit me demander font retenm^ ou ont été enlevé'^ par une force majeure : & ce qui eB le plus important , je démontre que les Auteurs de cette violence & de te pillage , font ceux même qui me demandent ces preuves qu'ils m^ont ravies y qu'il y a de lamauvaife foy dans leurs infcrip- tions de faux , parce qu'ails m'ont ùté par force , c^ pour ainfi dire a main armée , les moyens de mes légitimes falvations : qu'ail leur faut de grands & d'évidens argumcns pour me con- vaincre , parce qu'ails font fufpecls de fraude dans leur condui- te y & que de légères prefomptions me fuffent contre eux , parce quHls nï'ont injuflement arraché les monumens d'^ou fau- rois pu tirer des preuves plus fortes. Mais je «' en fuis pas ré- duit aux feules prefomptions : & 7nalgré tous les artifices d'aune malif^ne prudence , il s''eB fauve du pillage une infinité de monumens autentiques des maux que les Reforw.cz ont fou f- ferts. La plupart même conpfteiit dans des pièces publiques , qui ne peuvent être de [avouées.
^pres ces réflexions générales fur l'^Hifloire que ;V publie , il me refte encore en particulier a rendre compte de la méthode
que
TREFACE GENERALE,
que j^ay fuivie pour la compofcr. Et cr abord H faut que jt re^ ponde a ceux qui pourront trouver mauvais que je prenne par^ ty , & que je fa/Je trop paroître ma Religion , & P intérêt que je prens aux chojes que je reitte. On veut qu'Hun Hifiorien gar^ de une fcrupuleufe 7ieutr alité ; qu^il ne laijfe jamais entrevoir fin fentiment particulier -y qu'ail ne prévienne point les Leâeurs parfis raifinnemens j & que s^ arrêtant a une defcription toute nue des faits & des cir confiances , ilnepremie jamais le carac- tère ni de partie , ni ci* Avocat , ni de Juge. Je me fuis difi penfé de ces loix feveres ; 'fay raifonné \ fay dit mon avis ; j^ay prouvé j j^ay refuté quelquefois , félon que fay cru que le fu- jet le dejnandoit. ^Mais je pourrois juftifier ma conduite par diverfes raifins , fi je ne voulois abréger. V exemple de prefi que tous ceux qui fe font mêlez d'écrire^ me firviroit d'aune boîme apologie. On n'*en voit gueres qui fe fiient renfermez fcrupuletfiment dans ces homes: & a dire le vray c'^eBune chofe fi peu pojfible que de 5'j/ réduire , ([ue fi ceux même qui donnent ces loix aux autres fi meloient de rendre compte de quelque événement -, ils ne pour r oient s'' empêcher de violer les préceptes de cette pénible exa&itude. Mais je me conteriterai de dire deux chofe s pour ma defenfi. La première e§l ^ cjue mes avis é'mes raifonnemens doivent être confi devez comme ceux des perfonnes pour qui je parle ; foit parce qu''ils font ex- traits des difiours faits en leur faveur , foit parce qu''ils naifi fient des chofe s mê^nes , ér qu'ails repre fient ent ce c[ue tous les Re- formez aur oient a dire , fi on les interrogeoit juridiquement fur cette ?natiere. La ficonde efi , qu''il étoit d'aune mdif^en fable necejfité que je donnajfe a mon Hifloire un caraêlere apologéti- que-, parce que je N'crivois pour fier vir de réplique aux vio- lentes déclamations de ceux qui nous ont perfiecutez. Il étoit donc inévitable que je înêlaffe quelquefois mes réflexions au re- ^»v Tome I. ^ f cit
TREFACE GENERALE.
itt des faits , afin que je pujfe mieux prouver la fraude & i'injufiice de ceux que 'f acctife ^ & mettre en plm beau jour l'innocence de ceux que je jufiifie. Néanmoins on peut s' af- fûrer y que dans plufieurs occajions ou il femble que c'eB moy qui parle ^ j'ay pris garde de fi pr'es a ce ([ue je dk ^ qu'il y aura peu de Reformez quini'ofent defavouer. ^t^ fond cet- te liberté de due fin avis propre y n' e H pm incompatible avec te desintereffement d'unHiflorien. Ce que la fincerité exige de luy y esl qu'Une dcguife ni ne d'tjfimule leschofis; &jeme fuis impofé fur cela des loix affez feveres pour contenter les plus rigides cenfeurs. Mais comme l'avis particulier de l'Hif torien n'afiujettit point les LeBeurs , & demeure aujji fiu?nà a leur iu<rement que le récit jnême des faits qu' il rapporte ^ ils
fe plaindre qu'il les a prévenus par la liberté de dire fin fc^ ment. Ils trouvent ainfi la jnatiere toute prête -^ & fans fe fatiguer a raifonner fur les chofes ^ ils n'ont qu' a prononcer fi P Auteur les a bien prifes & bien entendues.
fe me fuis donné la liberté de changer quelquefois les ex- prèffions des ^Bes que j'ay citez. Mais cela ne doit faire de peine 7i perfoune ; parce qu'il e^ impojfible d'en ufer autre- ment y quand on a deffein d'abréger. D'ailleurs comme je donne au public plufieurs de ces ABes , on doit moins trou-- ver a redire que je n'aye pas rapporté mot a mot dans le corps de l'Ouvrage y ce ([ue j'ay mis tout du long au rang des preu- ves. De plm quand il y a eu des exprejjions dans cestABes qui ont été remarquables & importantes ^ je les ay toujours re- iemies: ér dans celles que j'ay fubftituées aux termes mêmes de ces pièces , j'ay toujours exaBement retenu le fins & la fub- ^:ancsdelachofi. Or cela fiufft aux perfinnes éciuitables. Il
TREFACE GENERALE.
ne s* agit pas des niots , mais des faits : ér il importe peu que ceux-ld joient changez , quand ceux-cy font reprefentez avec me fidèle exaclitude,
^''ay rapporté prefque tous les Edits & les Déclarations fous la datte du jour qifilsont pajjé au Sceau , plutôt que de celuy de leur vérification aux Par le m en s ; cfUDy que ce Joit du jour de Venregitrement que ces A&es commencent a prendre force de Loy. Mais f ay cru le devoir faire ain fi ^ parce que la )furif di&ion du Royaume de France étant partagée en plufieurs Par- lemens , il arrive rarement & que Nnregîtreinent fe fafjepar tout , & qu'ail s'^y faffe en un même jour. De forte que cela au- voit fait un peu â* embarras ^ & auroit encore dejjeché la ma-- tiere , qui cfelle-mêjne w'o? pas trop riche & trop gaye , fi fa^ vois rapporté fur chaque Edit tant de dates di fer entes. Je fay bien qu'ion s'arrête ordinaireme^it au jour de la vérification fai^ te au Tarlejnent de Paris , • comme ayant quelque privilège qui le diftingue des autres : mais puis qtî'unEdït ([u'^ilaenregïtrè 7ie paffé néanmoins en force de loy dans un autre Parlement , que quand la même Joleimité y a été obfervée , fay cru plus ?/- propos de me tenir a la date du Sceau , c[ui eB fixcér commune pour tout le Royaume. D"* ailleurs c'^eB aujourdhuy la maxime du Confeilde France , que les Edits ne prennent point de /V;/- rcgîtrement la force de Loy ; cpî^ils la tiennent de la feule vo- lonté du Roy , & de l'empreinte de fin Sceau ; ir que le Parle^ ment ri* a point d"" autre autorité que de la publier , & d'^cn être P exécuteur. De forte cpie fay eu rai fin de préférer la date d'oïl ces AH es prennent leur force , d celle qui ne leur donne rien-, & qui ne fer t qu'7î 6 ter aux peuples Pexcufe de t igno- rance.
"J'avertis aufi fur le fujet des dates ^ que f f y fuis tombé dans quelque erreur j ce n'eB pas a moy qu'il s'en faut pr en-
f z dre.
TREFACE GENERALE, dre, J^(^y. ftiïvi celle que fay trouvée dans les pièces ptih tiques dont je me fim fcrvi , & qui aymit été prefque toutes mïfes au jour par les Catholiques ^ ont reçu d'yeux toutes les altérations qui s'^y trouvent. De même s'' il arrive (jue je fajfe quelque fau- te au nombre des articles , en quoy je divife de certaines pièces:^ Une m'' en faut rien ijnputer. Cette divijion efl prefque arbi-^ traire \ & fouvent on la trouve diverfe dans les diverfes édi- tions d'un même Edit ér d"" un même Arrêt ^ cpioy qu"* elles foient toutes également autentiques.
On trouvera qu'yen de certains lieux j^ fuppofe que le Le fleur fait de certaines chofes , fans la connoijfance defquelles il fera mûl-aifé d'entendre le fait dont je luy rens compte, J^ fay bien que cela peut pajfer pour un défaut ; & que j^ay trouvé quelquefois mauvais moy-mêine , ciiCun Hijlorien ait négligé de m\xplî([uer des chofes qu'ail prefuppofoït que je devois favoir f parce qu'acnés luy et oient connues. ,JMais j'^ avoué que je ri'ay pas cru pojfible d'' éviter ce défaut ; parce que s'ilavoït fallu en fa- veur des Etrangers expliquer tout ce qui peut leur faire de la peine , faute d'' avoir une exaéle conm'ifjance des ufages , par exemple , des familles , de la Jituation des lieux , & de cent autres chofes particulières , le fond de mon Hifloire auroit été^ pour ainji dire ^ englouti par les Epifodes dont j^aurois été con- traint de le charger. Ainf malgré moy je fuis contraint de renvoyer le Le Heur ^ qui voudra favoir ce que je riay pu luy dire , aux Auteurs qui ont particulièrement traitté de cette matière, .
Je ne croy pas qtion me fâche mauvais gré de ne m'' être pas fort étendu fur les affaires étrangères^ parce qu'' elles et oient hors de mon fujet. J'*ay 7nar que néanmoins quand jePay crjs necejfaire , ta liai fan qu^ elles avoient avec celles des Eglifes Re- formées, J^e ne 7ne f m point attaché au récit des fieges & des
com-
TREFACE GENERALE.
combats , lors que fay parlé des guerres civiles ; parce qut d'autres Hïftorïens en ont fait de longues defcriptions ; ér que d^ ailleurs je me ferois trop éloigné de ma principale vue ^ qid étoit de parler feulement de la manière dont pEdit et oit objèr- vé, "Je me fuis donné la liberté de répandre c[uel([ues fentences dans mes récits, Jay fait en cela ce que tous les Hijtoriens ont fait. Si elles font judicieufes , le Lecleur n"" en fera pas ojjénfé: ér fi elles font peu a-propos , il ne les trouvera ni ajfez longuesy ni ajfez fréquentes pour ni" en faire une grojje affaire.
On dira peut-être que je nt* attache trop aux Hifioires des Seigneurs , comme du Maréchal de Bouillon , du Duc de la Tri^ ?nouille , du Connétable de Lefdiguieres , ér de plufieurs autres, Mais une feule réflexion fuffira pour montrer c[ue je n'^ay pu faire atutrement. Ces Seigneurs ont fait prefque tout le bien & tout le maldesEglifes : leur hien^ quand ils ont renoncé a leurs intérêts propres pour les fervir ; leur jnal-, quand ils les ont engagées dans leurs afaires particulières. De forte qu'on les trouve par tout ^ é' qiion ne peut parler desEglifes fan$ avoir occafion de parler de ces perfonnes éminentes , qui les ont ou aff'ermies par leur proteâion , ou ruinées par leurs brouille^
nés. -"-'-' ■-' '''^'■
Il y a quelquesfnotscjuim'^ontinis dans Rembarras. Ceux de Converfion , ^/'Herefie , ^/'Hérétiques , & d"* autres femblables ont un tout autre fens dans la bouche d"^ un Reformé ^ que dans celle dhm Catholicjue. Aîais il auroit fallu recourir à de per-- petuelles circonlocutions , fij^avois voulu éviter d^ employer quelquefois ces mots au fèns ou les Catholiques les prennent. Jay cru qiCil fufifoit de diftinguer les lieux ou ces mots fe trou- vent en ce fens ^ enles faifant ifuprimer d'^un autre car aB ers que le texte de POuvrage. Il ny a pas d\'ipparence que les Ca^ tholiques s'offenfent de ce que je les no7n?ne par tout Catholmies,
TREFACE GENERALE,
Ce0 un mm dont ils font gloire ; éril y avoit des Edits en Fran- ce qui defendoient de les nommer autrement. Je n'ay pai cru devoir leur en donner un autre dans mon Ouvrage , parce qu'ail j a long-temsqu\ïl ne tire plm a confequence ; qu'ail n'efl plm Jynonimeaceluy d'^Orthodoxe j & qu'il Jignifie dans le langage commun ceux qui reconnoifjent le Pape pour Chef de PEglife Vniverfellc. Cejlence fensque je le leur don?ie\ &j^ay mieux aimé avoir cette complaifance pour eux , que de leur donner quelque autre nom qui leur eût été nio'ms agréable. Celuy de Re- formé que je donne aux Proteflans de France , a quelque chofe d'incommode. Il donne lieu quelquefois a des équivoques. Un Of- ficier Reformé , un Capitaine Reformé , ne fignifient pas toû^ jours en François des perfonnes qui font profejjion de la Religion Reformée, Mais je n-en ay pu trouver de plus commode. CVi7 un défaut dont toute PexaUitude de V Académie , & la bonne opinion que les Françoh ont de leur langue , n'^a pu encore la de^ faire , que cP avoir des termes qui font fouvent de femhlables équivoques , dont la feule matière avertit le Le Heur de fe don- ner garde, ^e n'^ay pas cru cjue cette incommodité dût m\m^ pêcher de me fervir dhm ?not , qtii nPépargnoit la peine de cher- cher des perïphrafes , & des tours d'exprejfon quipujjent expli^ quer ce qiCil jignifie : & il me femble cjue quand on écrit pour le public ^ on n'' efl pas obligé d'' avoir en vue le chagrin de ceux que de femblables équivoques peuvent arrêter,
jjfe ne veux pas faire icy t apologie de mes fentimens fur l'au- torité des Rois , ér fur les devoirs des fujets. Il eB vray que le jugement qtfon fera de fnon Ouvrage dépend en partie de la vé- rité des maximes cfue je foutiens : mais j'' allongerois inutilement cette Préface , par la ilifcuffion d^une ?natiere qui eB devenue ûujomdhuy celle de toutes les converfations , & de plufieurs li- vres. Il n'y a rien de plus a la mode que de trait ter ce fujet im- portant-^
9REFACË GENERALE.
portant ', & jamais on n^a eu peut-être une plus belle occajton d^eflïmer que cette que/lion difficile efl decidéi'. Toute l"" Europe a pris party y & toifJ les Etats ^ horsmis la France ^^ ayant ap" prouvé les révolutions de la Grand"* Bretagne , ont prononcé par confequent en faveur des peuples contre les prétentions des Souverains. La liberté a gagné fa caufe ; & le pouvoir arbi- traire eB généralement condamné. Les droits des fujets Jônt éclair cis ; & les tifurpations des Vuijjances (ont de/approuvées. Les loix des Etats font remifes dans leur vigueur ; & le pouvoir Souverain cjl réduit a fes bornes légitimes. Il n'^eft donc pas necejfaire que je ni' engage a donner icy des raifons de mes fenti- 7nens j ptùs que toute P Europe les publie pour moy , ir que d"* ail- leurs je ferai obligé d'en parler expr^es dans un autre lieu.
Ilnemerefte plmqw: trois remarques a faire y avant que de finir cette Préface. La première efl , qu'ion pourra fe plain- dre de fie voir pas marqué a la marge le nojn des Auteurs y & le lieu des Ouvrages ou f ay trouvé les cho fes que je recite. Il femble que cela eft devenu neceffaire dans les Hifloires , anIJi bien que dans les Ouvrages polémiques. Mais j"* avoue que c\ft un ufage a quoy je n'^ay pas cru me devoir foumettre. Premie-- rement f ay pour moy l'exemple de tous les Hifloriens qui ont quelque réputation , & principalement de ceux qui s^étant ap-- pliquez les premiers a ce genre d"" écrire , doivent être confldere^ comme le modèle des autres. D"* ailleurs il femble que cet abus ne s'introduit que par une profondeur de chicane rainée , qui fe prépare fecr et tement par la un jnoyen de décrier les Hiftair es ks plus fidèles , fom prétexte de quelque citation qui femblera donner prife a la cenfure. Ce ne font pas les Auteurs du pre-^ mier ordre cjui s'impofent cette Loy. Ce font les Maimbourgs & les Souliers-^ gens qui s'' ils trouvoicnt lieu de vetiller fur quel- que citation , croir oient avoir détruit tout le crédit de leur ad-
verfaire:.
TREFACE GENERALE.
ver/àire. Cela feroit fâcheux , qu'un homme qui a pajfé plu- Jieur s années a lire des centaines de volumes imprimez ^ & des milliers de pièces manufcrites , vît le fruit de fin travail rui- 7jé par les chicanes de quelque Moine ^ ou de quelque ej^rit mal tourné qui luy feroit un procès fur la venté , ou fur la juf tejfè d'aune citation marginale. Il ejl plus a-propos que ceux qui voudront réfuter mon livre , prennent la peine de lire ce que fay lu , afin qii'ils puiffent piger après cela , fi fay rapporté fidèlement ce ([ue f ay trouvé dans les Auteurs que f ay conful- tez. Cependant afin c[u''on reconnoiffe que je ne fuis pa^ le com- bat^ mais feulement la chicane ér P impudence -, fay imité en deux chofes les plm exacts Hifioriens. Vune eft que fay domié lin catalogue des livres du fay pris la matière de mon Ouvrage: r autre eft que je donne au public les principales pièces dont je me fuis fervi^ pour en tirer les faits dont je luy fais le récit. On les trouvera imprimées a la fuite de chaque Partie.
La féconde rejuarque regarde le langage. On n''y trouvera pas la grande délie ateffe , qui fait aujourdhuy toute la beauté des livres. Il y en a beaucoup ou le Leâeur ne trouver oit rien^ fi ce fui trait en étoit oté. Pour moy f avoué qu^on trouvera dans mon flile bien des négligences , bien de petites fautes dont les Critiques feront de grands monftres. Je le leur permets j àr je ne m'' en étonnerai point. Je ne fuis peut-être pas perfiiadé^ que ce qu'ails prennent pour des beautezfoient des beautez vé- ritables : & il efl peut-être vray (pue cette pureté fi chantée qiCon n^ apprend que dans les ruelles , ér dans la converfation des perfonneS'i a qui pour en bien juger il ne manque rien que des lumières & du bon fens , fait plus de tort a la langue ^i qu'acné ne luy fait d'honneur. Elle feroit plm riche & plm fnâ- le , fi on en cher choit les règles dans une meilleure four ce. Quoy qiûtlen foit , je rPay travaillé cpira me faire entendre. Je n'^ay
pas
"PREFACE GENERALE.
pas même pris la peine de donner a mon fîïle de certains agré- mens , que fatirois pu trouver comme un autre , fi favois cru necejjaire de les chercher : & a ce prix je veux bien ne plaire pas à ceux qui s'' arrêtent a ces bagatelles , parce qiCils ne font capables de rien de plm grand. Si on faifoit néanmoins des remarques pidicieufes é* équitables fur mon travail^ foit quel- les regardajfent les chofes , foit qu"* elles eujfent leur rapport au flile ou a la manière , je promets a ceux qui les auront faites , qu'ails trouveront en moy une docilité dont les Auteurs fe piquent fort rarement ; & que fi jamais on fait une féconde édition de mon Hifloire , ils verront bien que f aurai profité de leurs jufies correBions.
La troifiéme remarque regarde la jnaniere dont je parle du Clergé de France^ ér principalement des Jefuïtes. On s"^ ima- ginera que je me fuis laifié emporter a lapaffion^ quand j'^ay euPoccafion de dire quelque chofe d'yeux -, & quHl y a de l'^ai- greur dans mes exprc fions , parce que j''en ay dans le cœur. "Je répons a cela qiCon fe trompe. Je n'^en ay dit du mal que par la ne ce (fit é de dire vray , ciue je me fim ijnpojée. Z)' ailleurs tout le mal que j''en ay dit , ne va pas a la centième partie de celuy qu'ails ont fait a tout le monde. Il me femble même que les Je- fuites ne fe fer oient pas reconnus dans cette Hifloire ^^ fi je les avois flattez. Ils font fi accoutumez a fe voir dépeints avec de noires couleurs , dans toute forte d'écrits , qti^ils aur oient cru que j'^aurois parlé de quelque autre Inflitut , // favovs fait deux une autre peinture. Ils f aven t même fi bien que leur fanglante & perfide Toliticfue e'B la caufe de tous nos mal- heurs ; & ils fe font tant d"* honneur de ne garder avec les Hé- rétiques , non plus qu'^avcc le refle du monde , nulles mefures de bonne foy ni d'humanité , qii'ils prendront peut-être pour un éloge tous les reproches dont je les couvre-^ & qu'ails regar^ Tome I. g deront
TREFACE GENERALE,
deront tous les traits dont je les noircis , comme autant de rayons de la gloire qui leur eH due. Enfin après les maux qiî'ils nous ont fait Jouffrir durant tant d"^ années , rV// une petite vengeance , qui ne doit déplaire a perfonne , ciue celle qui confifte a les appeller par leur nom \ & a renouveller contre eux les reproches dont les plus fages Catholiques ont chargé leur Société des fa naijfance.
PRE-
C M
P R E F A
DE LA PREMIERE TARTIE.
"'i-X tp rr -'
Uoy que je raportc en abrégé , dans le premier li- vre de cette Hiftoire , ce qui s'^ft pafle en France touchant la Religion, depuis le commencement des diiputcs de Luther jufques à la mort du Roy Henri III. néanmoins cette partie tient fi peu de place dans mon Ouvrage , qu'elle ne doit pas m'em pêcher de dire qu'il commence precifément à cet accident, par lequel Henri I V hérita de la Couronne. De forte que mon delîèin embrafTe le règne de trois Rois : dont le premier, qui a le moins régné, adonné aux Reformez unEdit Se des furetez > le fécond leur a ôté les furetez i & le troifiéme a cafTé l'Edit. Ayant donc à reprefenter trois évenemens fi divers , à chacun defquels on peut raporter cequieft arrivé déplus memxorable fous chaque rogne, mon fujet fe divife naturellement en trois Parties. La première embrafle tout ce qui a précédé l'Edit de Nantes -, ou qui depuis qu'il a été donné, regarde fon exécution pendant la vie de fon Auteur. La féconde recite les moyens par lefquels, fous le nom & l'autorité de Louis XI IL on a ôté aux Reformez les Villes & les Afl'emblées qui faifoient leur fu- reté : d'où s'enfuivit la décadence de leurs affaires. La troifiéme parle de tout ce qui s'eft paffé fous le règne du Prince qui porte aujourdhui la Couronne, jufqu'àla révocation de l'Edit j àquoy j'ay ajouté les évene- mens de quelques années fuivantes , qui en font des fuites naturelles : com- me la retraitte de tant de familles perfecutéesj leurs établifîemens dans les pais étrangers , & d'autres choies pareilles.
Comme il s'agiffoit de montrer que la conduite des Reform z a tou- jours été fort différente du portrait que leurs ennemis en on fait, j'ay cru que dans chaque Partie , & principalement dans la première &z dans la féconde, où ils paroifîcnt les armes à la main , je devois raporter les cho- fcs qui donnent le plus de jour à pénétrer dans leurs intentions : afin qu'on puilîé mieux juger s'ils n'étoient pas réduits à ces remèdes extrê- mes par une neceffité qui ne Ibuffroit point de difpenle. Je parlerai dans un autre lieu de ce qu'ils firent après la mort de Henri IV. Mais j'ay def-
g 2 fcin
PRE FA C E
fein de dire icy un mot de ce qu'on pourroit blâmer dans leurs adions j pendant que ce Prince a vécu. Je ne répéterai pas ce que j'ay ait pour les juftifier dans le cours du livre : mais je remarquerai en peu démets les principales circonftances des affaires, qu'on verra plus amplement re- prefèntées dans l'Hiftoire même.
On peut donc confiderer les Reformez dans trois états pendant le rè- gne de ce Prince. Dans le premier , ils avoient un Roy de leur Religion > mais qui voyant combien il luy coûteroit de peines pour furmonter une Ligue, qui fous le prétexte de la Religion foulevoit contre luy la moitié de fon Royaume, fe refolut à changer, auili-tôt quille pourroit faire avec quelque apparence d'utilité. Dans le fécond , on les voit au ier- vice d'un Roy , qui après avoir abandonné leur Religion fembloit avoir changé de cœur pour eux ^ & ne fe mettre en peine que de fon repos , /ans s'inquiéter beaucoup de ce que deviendroient ces tideles fujets , qui luy avoient rendu de fi grands fervices. Dans le troifiéme on les voit vivre fous l'autorité d'un Edit, qu'ils avoient enfin obtenu après de longues follicitations ; qu'on avoit été quatre ans à pourfuivre , & encore plus long-tems à exécuter.
On ne peut leur rien reprocher pendant qu'il demeurèrent dans le pre- mier état , puis qu'ils furent attachez au fervice du Roy , & qu'ils por- tèrent les armes pour luy, auili long-tems qu'il eut des ennemis au dedans ou au dehors Si on dit qu'ils ne le fervoient pas alors avec la même cha- leur 5 & la même affedion qu'ils avoient accoutumé de faire paroîtrej qu'ils ne firent pas les efforts qu'ils auroient pu faire > qu'ils laifferent échaper quelques reproches & quelques murmures : je répons que , quand cela feroit allé encore plus loin, ce ne feroit pas aux Catholiques à en parler. On verra par l'Hiiioire queceux-cynecraignoient rien tant que de voir fi- nir la guerre, avant qu'ils eulTent obligé le Roy à changer de Religion j & qu'ils avoient même far cela des intelligences avec les Ligueurs, qui auroient paflë pour bien criminelles , files Reformez avoient été les cou- pables. D'ailleurs on verra que les Reformez étoient auffi obligez de fe te- nir fur leurs gardes contre les Catholiques de l'armée Royale , que contre les autres i & qu'il étoit juftc par confequent qu'ils nemiffent pas toutes leurs forces à la diicrecion de ceux qui auroient pu fe defeire d'eux en une nuit, pour fe réconcilier plus facilement avec la Ligue, & difpofer avec elle du Royaume &: de la perfonne du Roy, comme ils l'auroient trouvé bon. Il y avoit de la prudence à referver une partie de leurs forces pour la necelfité ^ afin que celle qui refi:eroit pût fervir de reflource à leurs affai- res
DE LA PREMIERE PARTIE.
res, &même à celles de l'Etat, fi Pautre étoit opprimée. On verra de plus depuis Ton avènement à la Couronne , jufqu'à la converjîon , que le Roy leur donna de jour en jour de plus grandes marques de Ton refroidiiîe- menti &: qu'ils a voient, par confcquentraifbn de croire , que plus ils le mettroient par leurs grands efforts en état de fe palier d'eux, plus ils luy donneroient de lieu de négliger leur établilîement & leur fureté. D'où il s^enfuivoit que s'ils employoïcnt toutes leurs forces, ils feroient à leurs propres dépens les affaires des Catholiques leurs ennemis , fans en retirer le moindre fruit pour eux-mêmes. Mais au fond on verra qu'ils reconrturent le Roy fans condition j & qu'ils ne marchandèrent pas avec luy comme les Catholiques , pour demeurer à fon ferv ice. Ils l'auroient fins doute bien embarraflé, s'A?, avoicnt voulu faire les difficiles comme les autres. Cette dureté auroit été fa ruine, & celle de tous les Officiers de la vieille Cour, bien plus odieux à la Ligue que les prétendus Hérétiques: ôcs'il y avoit entre les autres Catholiques Royaux quelques gens d'honneur , ils auroient eu part à la peine. On a relevé contre les Reformez , comme une parole fort criminelle, qu'ils avoicnt dit quelquefois qu'ils s'étoient contentez de l'Edit, dans un temsoù ils auroient pu , s'ils avoient voulu > partager l'Etat avec les Catholiques. Je ne fay pas li c'ell un crime que de dire vray : mais je lay bien que 11 les Reformez le fullent unis pour leur in- térêt feul, fins le mêler avec celuy du Roy & de l'Etat j s'ils avoient gardé pour eux plus de trois cens Places , & àç.s Provinces prefque entiei-cs j ap- pliqué les deniers publics à leur ccnfervation particulière j ménagé leurs Troupes aguerries &: difciplinées , pour fe jetter fur celuy à(:% divers partis qui âuroit eu le deflus àç.s autres , ils auroient peut-être pu prétendre à quel- que chofe de plus que la moitié du Royaume. Leur feparation d'avec le refte du Corps en auroit entraîné infailliblement le dcmembrcment entier : & jp ne fay comment onpourroit nier, que ficela fl'it arrivé, la pièce qui leur feroit demeurée auroit été la meilleure. Mais leur franchilè tira le Roy & tousfes ferviteurs de cet embarras. Ils ficrifiercnt tous leurs in- térêts & oute leur Politique à leur devoir. Ils n'écoutèrent point le con- feil de leurs juftcs défiances-, & quoy qu'ils fufientaffez éclairez pour pré- voir les confequences de leur faciUté, ils virent fans s'émouvoir conclure le marché des autres, dont un àç,s articles alloitàleur ravir la perlonne & les affedions du Roy. Ce definterefiement affermit lur la tête de ce Prince la Couronne prête à tomber > & ce lèrvice meritoit bien que ceux qui en ont profité n'en perdilîent jamais la mémoire.
Dans le fccond état où ils fe trouvèrent j après que le Roy eut quitté
g 5 ' leur
PREFACE
leur Religion , Se principalement depuis qu'il eut reçu les fbumiflîons des Chefs &: des Villes de la Ligue, ils parurent plus attachez à leurs intérêts qu'ils ne l'avoient été juiques-là. Leurs demandes furent plus hautes j leur union plus folide j leurs defîeins plus concertez -, leurs Afîemblées plus nombreufes & plus inflexibles. Mais iln'yauroit rien de plus injuf- te que de leur en faire un crime : & l'Hiftoire fait voir des raifons de leur conduite que les perfonnes équitables ne peuvent defapprouver. Ils vi- rent ce Prince porter Tes complaifances pour le Pape un peu plus bas que l'humilité > livrer Ion erpritôc foncœur aux Catholiques j s'abandonner à leur Politique & à leurs confcils. Il acheta les Chefs de la Ligue non feule- ment par de bons Gouvernemcns, par degrofîès penfions, par des fbm- mes immenfes qu'il leur fit payer comptant: mais principalement par des concefiions qui faifbient de grandes brèches aux Edits , ibus la proteélion defquels les Reformez avoient efperé de vivre. Pendant quatre ou cinq années on commit dans toutes les Provinces du Royaume mille injufbi- ces, mille violences contre les Reformez > commçfih cû?iverfionduR.oY avoit aquis aux Catholiques l'impunité de toutes leurs entreprifes. Ce Prince eut tant de peur d'offenfer les Catholiques , qu'il voulut bien par complaifance pour eux tenir les Reformez en fijfpens durant plufieurs années, fans leur accorder autre choie que des promefles générales , dont ils voyoient reculer l'effet de jour en jour , ibus mille prétextes defbbli- geans : & en effet il n'entendit à leur accorder une paix telle quelle , qu'après que tous les Catholiques ftirent contens. De forte qu'il eut bien plus de foin de gratifier ceux qui avoient tant fait d'efforts pour luy rendre le Trône inacccifible, que de mettre à couvert de la perfecution ceux qui luy avoient aidé par tant de fervices à y monter. D'ailleurs plus Ces afEiires s'établifToient par la reconciliation des Ligueurs , plus U devenoit difficile pour les Reformez : & il leur accordoit de jour en jour d'autant moins de grâces, qu'il fe voyoit mieux en état de fepafîer de leurs armes. Il faut avoir bien peu d'équité', pour croire que dans cette fituation des affaires générales, il falloit encore que les Reformez s'abandonnalïènt aveuglément à la bonne foy des Catholiques qui les haiflbient , Se d'un Confèil qui fe moquoit d'eux : & pour les condamner d'avoir pris quelques précautions contre l'infidélité, dont ils avoient fait tant de fois de funefles expériences. Au fond puis qu'après tant d'inftan- ces & de Ibllicitations ils obtinrent fi peu de chofe , il eft ailé de juger qu'on leur eût encore accordé moins , s'ils avoient témoigné moins de re- folution &c moins de confiance.
Mais
DE LA PREMIERE PARTIE.
Mais dans le troifiéme état , après avoir obtenu un Edit&des furetez, il femble que la continuation de leurs inftances n'avoit plus d'excufes -, que lapaiîîon qu'ils conferverent de le maintenir dans les Villes de fureté, ôc d'en augmenter même le nombre j que les Requêtes de leurs Afîemblées Politiques , & de leurs Synodes Généraux j que le renouvellement & le fer- ment de leur Union , & d'autres pareilles démarches n'avoient plus de pré- texte légitime. L'Edit vérifié dans tous les Parîemens du Royaume s'ob- (èrvoit par tout > le Roy expliquoit d'ordinaire en faveur des Reformez les difficultcz qui fè prefentoient lur fon exécution ^ il fe fervoit d'eux de bon cœur 'y tous les Etrangers Proteftans étoient dans fon alliance. Il femble qu'après cela cet efprit défiant qu'ils faifoient paroître en mille rencontres n'étoit plus tolerable j & qu'il pouvoit autorilèr les Ibupçons qu'on avoit de leur humeur inquiète &: fa£lieufe. Mais l'Hiftoire donne de quoy re- pondre à cette Ipecieufe objection. Il ne faut fiiire que deux confidera- tions 5 pour montrer que comme ces défiances n'étoient pas fans fondement, les précautions qu'elles confeilloient n'étoient pas illégitimes. La pre- mière de ces coniiderations efl tirée des chofes prefentes -, &c la féconde eft prife de l'avenir.
Le prefent même n'étoit pas fi tranquille pour les Reformez , qu'ils n'euflent tous les jours de nouveaux prefages d'une décadence prochai- ne, dont la conftitution des affaires les menaçoit, s'ils ne fetenoient pas fur leurs gardes. Les altérations faites à pluiieurs articles de l'Edit par le Roy même, & de fi feule autorité, dans l'unique vue de complaire au Clergé & aux Parlcmens , n'étoient pas fi légères , quoy qu'on en dit , qu'elles ne fuflènt au moins fuffilantes pour montrer que le Roy, d'ail- leurs Il jaloux de fa parole, avoit laille prendre far luy un puifiantafcen* dantaux Catholiques. Ceux qui avoient pu l'obliger à violer neuf arti- cles d'un Edit négocié avec tant de longueurs, & conclu avec tant dcfo- lennité , pouvoient bien quelque jour le difpofcr par leurs artifices à éluder le refte de ks concefîîons. D'ailleurs l'excès de fa complaifance pour le Pape -, la paflion de régner dans les Conclaves , 8c defe faire des amis & des Créatures dans la Cour de Rome -, fon alliance avec une Princefîe Italienne , à des conditions fecrettes que le Pape avoit didées 5 le métier de Controverfifle & de Convertifleur dont il faifoit gloire ; l'affront qu'il fit recevoir à Fontainebleau à du Plellîs, l'un de lès plus anciens & de fes plus fidèles ferviteurs -, & plufieurs autres chofes fem- blables , donnoient lieu de craindre qu'à la fin fon cœur ne s'aliénât tout à fait des Reformez : & qu'il ne devint capable , dans quelque affaire im- pôt-
PREFACE
portante, d'en faire tout d'un coup un plein facrificc à la Religion Ro- maine. Cela étoit d'autant plus vraifemblable , qu*on raccufoit d'inconftan- cc dans Tes amitiez -, & qu'il manquoit à Tes héroïques qualitez celle de reconnoiilant. Encore donc que lefouvenirdesfervices que les Reformez kiv avoient rendus ne fût pas entièrement étoufféj le tems en pouvoit venir à bout, hts années pouvoient rendre fenfible aux craintes des peines d*u- ne autre vie, un Prince dont la vie avoit été fort peu régulière ^ & qui même, pour dire la chofe telle qu'elle eft, avoit porté la débauche à de grands excès On fe racheté de ces terreurs à quelque prix que ce foit, quand elles troublent une fois la confcience. On ne fe fouvient ni de fervi- ces ni d'amitié , quand il s'agit de fe precautionner contre la mort éternelle. Quand il ne faut qu'une vicVimc pour s'en délivrer , on ne regarde point ce qu'en coûte le facrifice. Le rappel qqs Jefuites , où le Roy fe laifla por- ter par la feule crainte de leur couteau, contre le defir de tous les bons François, & tout évidemment contre l'interét des Reformez , faifoit voir quelle force la crainte avoit fur luv; & ce qu'il étoit capable de faire, pour fe mettre à couvert de l'aflalTinat. Mais le crédit que cette pernicieufe fe£be prit à la Cour, auffi-tôt qu'elle y eut mis le pied j la complaifance aveugle du Roy pour le Jefuite Cotton , qu'il élut pour fon Confcfleur; la tolérance qu'il avoit pour les fraudes, les attentats , les perfidies de ce fcelerat, qui comme s'il eût été bien affùrc qu'on n'oferoit l'en punir , ne iè donnoit prefque pas la peine de les cacher j la foiblellè qu'il eut de luy confier l'éducation du Dauphin -, & celle qui l'obligea d'accorder fon cœur à cette Société , pour en faire un ornement de l'Egliié de la Flèche , donnè- rent encore de plus légitimes fondemens aux défiances que les Reformez prirent de luy. Il y en avoit afîcz pour obhger des gens que tant d'expérien- ces avoient rendu fages, Sz qui avoient été fi fou vent châtiez de leur cré- dule fimplicité, à garder bien ce qui faifoit leur fureté j afin d'avoir de quoyfe défendre, fi on vouloitrenouvelîer contre euxun jour les inj ufl:i- ces&: les violence s.
Mais l'avenir exigeoit d'eux principalement qu'ils veillaflent à leur con- lèrvation. Le Roy pouvoit mourir. On faifoit de fréquentes confpira- tions contre fa vie. Sa lànté même étoit aflez fouvent interrompue par de fâcheux accidens. Quand il auroit pu vivre encore vingt ou trente ans, & conferver afiTcz de vigueur dans une extrême vieilleilé pour maintenir Tes Edits, ce n'étoit enfin que vingt ou trente ans de patience, après quoy il de voit à la nature le même tribut que le reftc du genre humain. Mais on voyoit les chofes fe préparer pour ce tems-là d'une manière à faire crain- dre
DE LA PREMIERE PARTIE.
drede grandes révolutions. Les Jefuïtes auroienteu letemsde s'emparer des affaires , & de corrompre les cœurs par leurs deteftables maximes. Un Roy élevé par leurs mains, èc nourri par eux dans la haine pour les prétendus Hérétiques , & dans les plus balles pratiques de la fliperftition , faifoit peur aux Reformez , comme un Prince qui ne fe piqueroit pas d'ob- fèrver fidèlement les Edits. Une Reine Italienne de naiffance , Efpagnolc d'inclination, imbuë delà Politique de Rome, perfiaadée que les Refor- mez pouvoienr ébranler la fortune de fcs enfans, & appuyer contre leurs intérêts tout autre Prince qui voudroitfè mettre à leur tête , étoit unerai- fbn nouvelle de s'attendre à quelque fâcheufe révolution. Les projets d'une double alliance avec la Maifbn d'Autriche > à la vérité peu écoutez du Roy , mais fort agréables à la Reine , appuyez de la Cour de Rome , pouflèz par les Jefuïtes , par les Ligueurs, par ceux, qui recevoient de l'argent d'Efpagne , étoient une autre railbn de penfcr à l'avenir, & de prendre des mefiires contre les furprifes. Le Dauphin étant encore au berceau , il n'y avoit pas de quoy s'étonner que le Roy ne prêtât pas l'oreil- le aux propofitions d'une aUiance û hors de fàilbn : mais il pouvoit chan- ger d'avis , quand (on fils leroit parvenu à l'âge convenable pour le maria- ge : & au fond le Roy venant à mourir , laifîoit une Cour qui afpiroit toute entière à cette alliance des deux Couronnes, que les Reformez ne pou- voient regarder que comme funefle à leurs Eglifes. Il ne faut pas dire que c'étoient là de vaines terreurs : l'événement les a toutes jufîifiées. La mort du Roy, l'alliance d'Efpagne, l'engagement de Louis XIII. dans la fuperftition , fa haine naturelle pour les Reformez , fa déférence aux confeils des Jefuïtes-, tout ce que les Reformez avoient pu craindre arriva prefque en même tems j & avança par degrez la décadence de ce party qui n'avoit plus de Protedeur.
L'Hilloire donne des preuves de tout celaj & fait voir clairement que tous les évenemens de la vie de HemilV. & toute la conjondure des affai- res menaçoient les Reformez d'une prochaine defolation, i\ fe tenant à leurs anciennes maximes de tout croire , de tout elperer , de ne fe défier jamais de la bonne foy d'autrui^ de ne prendre pour bouclier que la fimplicité, la fran- chilé & l'innocence > de ne penlér à l'avenir qu'avec une refignation lans prudence , ils ne prenoient de meilleures furetez qu'ils n'avoient Fait avant les maflàcres. Je conclus de là que les craintes des Reformez n'étant que trop bien fondées, il y a de l'injuftice à les accufer de ce qu'ils ont pris des mefures pour s'en guérir : & puis que le tems a fait connoître qu'ils n'en avoient pas encore allez pris , ce qu'on en peut conclure efl: qu'ils Tome 1. h avoient
P R E F A C E &c.
avoient aflez de prudence pour prévoir le mal 5 mais qu'ils n*ont pas euaA fez de bonheur pour le prévenir.
Au refte j'avertis qu'il ne fera pas impofïïble que j'aye fait quelque fau- te à la date des années , dans le premier livre de cette Partie. La coutume de commencer Tannée à Pâques n'ayant ceflé que fous Charles IX. je ne me fuis pas aflùjetti à compter les années félon cet ufage -, mais aufîî je ne Tay pas évité. Il a donc pu arriver que j'ay raporté fous la date d'une an- née, ce qui félon la coutume du tems devoit être mis fous la date de la précédente. Si je me fuis difpenféd'y prendre garde, maraifon eft que dans un abrégé aulfi court que celuy que je fais dans ce premier livre , une fèmblable erreur de date , qui renvoyé au commencement d'une année ce qui appartient à la fin de l'autre, ne peut tirer à confequence. J'auroisété plus exadt, ii j'avois traitté cette partie de l'Hiftoire d'une manière plus étendue.
L Epître du célèbre Jaqties Augufte de Tkou au Roy Henri IV. qui fert de '^Préface à Jon Hijioïre , ayant toujours pajjé pour une pièce achevée y é^ non Ji ulement pour un des quatre écrits de cette nature qui ont le plus mé- rité l^ approbation dts Comioijftîtrs , mais pour un monument autentique des ftntimens oîi tous les honnêtes gens de fa Religion étoïent de f on tems touchant la violence ér la perfecution , /// a eu beaucoup de per formes qui ont e^iim? que cet Ouvrage avoit quelque affinité avtc le mien , o" que j* obliger oi s le LeBeur , jï je luy en donne is une verjïon Jidele. J'ay déféré à leur avis. Je donne icy cette ^Préface traduite par une perfonne q^ui eft ca- pable de plus que d'uîie ïraduciion. Elle eft aujji literale qu'elle peut l'étrcy fans parler Latin en François : & fi on a pris quelques libertez , peur donner plus de clarté aux chofes que le tour de l'expreffion^ & la longueur des périodes pouvoient un peu embrouilltr , elles 71e font pas telles qu'on les puiffie rendre fufpe^es de la moindre infidélité.
EPI-
EPITRE DEDIGATOIRE
D E
JAQJLJES AUGUSTE DE THOU ,A U R 0 V
HENRI IV.
Servant de Préface à fon Hiftoire.
SIRE,
-^^^s^t^i^^g Ors que je me fuis mis à '\) ff/'^^^^ écrire l'Hifio'tre de notre
l Ouvrage que j entrepre- yj^ mis ne juanqueroit pas de
^^' m'atîirer diverfes cenfu-
res 'y m.iis je m'en fuis confole , parce que je me fenîois uniquement engagé dans ce def- fein par le mouvement d'une bonne confcien- ce ; fans ji être porté par des vues d'ambi- tion ou de vaine gloire. D'ailleitrs j'efperois que les haines venant a fc refroidir avec le tems , l'amour de la vérité reprendroit un jour le dejfus : ce que je pouvais attendre fur tout fous le Règne de Votre Majefié; qui ajant par une faveur toute particulière du Ciel étonné les monfires des rebellions , c^ éteint les femences des fanions y a rendu Li faix à la France j & avec cette paix a fait voir alliées deux chofcs qu'on croyait incom- patibles, je veux dfre la liberté & la fou- veraine puijfance. D'autre <4té j'ay mis U main à cet Ouvrage, dans uniems-oii je voyois avec douleur que les caufes de la guer- re étoient attachées aux intérêts de quelques particuliers ambitieux ; & que le Confeil qui prefidoit fur les affaires publiques, notts otoit toute efperance de paix. C'eïi pour- qitoy fay cru qu'il métoit d'autant plus per^
mis de dire libremetit les chofes comme elles etotcnt , en tachant néanmoins de n offenfet perfonne. Mais avec le tems cet Ouvrage qta avoit été commencé dans les armées, an milieu du bruit & des ravages de la guerre > s'étant accru dans votre Cour , cjr enfn ayant été continué jufquau Règne de Votre Ma~ jejlé , parmi les foins du Barreau , les voyages & les autres affaires , je me fuis trouvé dans des difpofuions fort différentes des premières. Alors mon cfprit appliqué ^ coiifderer la divcrfté & l importance des chofs que j'avais a décrire, (^cherchant un fouligement à la douleur que je reffentois des mifcns publiques^ s'eit donné tout en- tier a cette occupation ; & j'ay commencé ^ craindre que ce que favois écrit pendant le bruit des armes , & qui pour lors était peut- être capable de plaire , ou du moins d'être excufé, ne vint a déplaire, & même a cho' qucr quelques perfonnes chagrines & diffici' les , à prejent qut les chofes font pat i fées. Tel eH le défaut de l cjprit humain , qu'on cH plus enclin à mal faire . qu'à fupporter le récit ou le reproche du mal qu'on a fait. Mais fins în arrêter à cela , puis que c'efi le premier devoir d'un Hijlorien de ne rien dire de faux , c^ qu'en fuite il ne doit point craindre de dire ce qui ejî vray , je me fuis h z efforcé
e for té de tirer la vérité Ae dejfous lesobfcu' rite'^ où die dtmctire fouvent cachée i ^ quclqtiefois comme profondément ahiniée , à caufe des haines qui régnent entre les partis. Après l'avoir recomm'é , fav travaillé à U tranfmeitre fidtlcment à la pcflcrité j & jay cm que fi dans une fi ji-fie caufe je manquais à ce devoir par une affettation de faujfe prudence , je ferais tort a ce rare bon- heur de votre temSi oùilcsl permis a cha- cun de penfer ce qu'il veut , & de dire ce qu'il penfe. Tour ce qui me regarde -, je niaffùre que ceux qui connoiffent à" moy & ma manière de vivre , favent combien je fuis éloigné. de la diffimulation\ & je nay ^as mené une vie fi cbf me , que i innocence de ma conduite n'ait pu parotire par des ac- tions publiques , même aux yeux des moins équitables. Depuii que votre valeur & vô- tre clémence nous ont réconcilie? en pacifiant nos dijferens , j'ay telkment oublié les inju- res pirfonncUcs qnon pouvoit m' avoir faites, & fen ay fi bien étouffe le reffentiment , tant en public qu en particulier , que je fuisper- fuadé qu'en ce qui regarde le fouvenir des chofes paffees , on n'aura pas fujet de me reprocher que je manque d équité ni de mo- dération, y en prens même à témoin ceux que je nomme fotivent dans cet Ouvrage , qui s'ils ont eu be foin de moy dansl'cmploy dont Votre Ma je fié m'a honoré ^ m'ont tou- jours trouvé difpofé à leur rendre fervice avec toute l'intégrité poffble. Ce que les bons Juges doivent donc faire lors qu'ils déli- bèrent fur la vie & fur les biens des homme Sy j'ay taché de le faire en écrivant cette Hifioi- re, J'ay confultéma confcience , pour voir fi elle n'étoit point trop fenfible a rien qui pût m' emporter hors du droit chemin que je m'é- tois propofé de fuivre. J'ay adouci l'aigreur des chofes par mes expreffions autant que j'ay pu ; j'ay faf^endupar tout le jugement qtie j'en pouvais faire; j'ay évité toutes les digreffwu j je me fuis fervi d'une manière
d'écrire nué&fimple , peur me montrer auffi exemt de haine & de faveur , que de degui- fement & de vanité. Je demande a mon tour tant a nos François , qu'aux Etrangers qui pourront lire cet Ouvrage , qu'ils n'ap- portent point de préjugé à cette lectbre , & qu'ils n'en donnent Uur jugement qu'après qu'ils l'auront achevée. J'avoue que ce que j'entreprens est au delà de mes forces ; & je ne nie pas que pour le bien exécuter , il ne f allât avoir bien des qualitez, qui me maU' quent : mais le bien public , & l'ardent défit de rendre fervice à mon fiecle & a la pcfie- rite, l'ont emporté fur toutes les autres con^ fiderations ; & pour fatisfaire cette paffioiîi j'ay mieux aimé m'expofer àpaffer pour te-' meraire que pour ingrat. Au refie je ne me mets pas tant en peine de ce qu'on penfera de ma bonne foy , au fujet de laquelle je nay rien a me reprocher ; ni de ce qu'on pourra juger de mon habileté j dont les dé- fauts trouveront des excufes , comme je l'ef- pere , dans vôtre clcmence , & dans la candeur des Lecleurs •, que je crains que U plupart des chofes que j'écris ne paroiffent enuuyeufes a prefque tous ceux , qui étant comme il leur femble hors de danger , re- gardent les malheurs d'autruy ou fans équité^ ou fans y prendre intérêt. Outre tous les maux qui affligent ce fiecle ennemi de U vertu , // tft encore travaillé des differens de la Religion , qui ont agité tout le Cbriftia- nifme depuis près de cent ans ; & qui y eau- feront encore de nouveaux ravages à l ave- nir , fi ceux qui ont le principal intérêt à les faire ccfier , n'y apportent des remèdes con- venables ^ autres par confequent que ceux qu'ils ont employC^jufquicy, Car l'expé- rience nous apprend ajjf:^ que le fer , les feux , l'exil , les profcrtptions , font plus capables d irriter , que de gucrir un mal qui A fa racine dans l'efprit , ér qui par cette raifon ne fe peut fouUger par des remèdes qui nom d'effet que fur le corps, il n'y er} a
poim
point de phu utiles pour cela qu'une bonne do^rine , & une fiinte ïnjiru^ïon, qui s'infwuë aifcment dans l'amey quand elle y efi verfée par la douceur. Car au lieu que tou- tes les autres chofes s'établijfent par l'antorné fouverahie des Magijirats & du Prince, la Religion feule fie dépend ^as d'un comman- dement. Elle nentre dans Ls efprits , que i^itand ils y font bien prépare":^ par le préju- gé de la verué , aidée par le jtcours de l'Ef- prit de Dieu, Les fupplices ny fervent de rien ; cs" au lieu de fléchir le cœur ou de l a- battre , ils ne font que le roidir & le rendre plus objliné. Ce que les Sîoiques ont dit de leur Sagejje avec tant de fafie , nom le pou- vons dire à metlkur titre de la Religion, Les îourmens & U douleur paroiffcnt légers a ceux quelle anime. Ils étouffent le fentiment de toutes les incommodité? -, par la confiance que cette prcrention leur infpire. Rien de ce quil faut foiiffrir pour elle ne leur fait peur. A quoy que l'homme, foit fuj et , ils ne fe plat- •gnent point delendurer. Quelque connoif- ftnce qu'ils ayent de leurs forces , ils fe croyent capables de tout fupporter , pendant quils s'afurent que la grâce de Dieu les ap- puyé. Oiftls voyent le bourreau à leurs côfe':^ qu'on étale devant leurs yeux le fer & les flames , ils nen feront pas ébranlez,-, & fans fe mettre en peine de ce qu'ils auront à foi{jfrir , ils ne [ongeront qua ce quils ont a faire. Us poffcdent au dedans d'eux ce qui fait leur félicité ; & tout ce qui vient de de- hors leur paroit léger, & ne fait, pour ai nfi dire-, qu effleurer la peau. Si Epicure , dont la Pbilofopbie eft d'ailleurs f dccriée chez, les autres Fhilofophes , a dit du Sage, q'.'.e quand il ferait dans le taureau ardent de Pbalaris , Une laifferoit pas de s'écrier. Cela m'cft ngrenblc; je ne piens point d'iiitcrct au mal qu'on me fait: croit-on que ceux-là euf- fent moins de courage , qui depuis près de cent ans font péris pour la Religion par diver- fes fortes de fupplices r" Ou que les autres en
auront moins à t avenir , fi on perfevere dans ces cruautez. f Ceft une chofe digne de re- marque , que ce que dit , & que fît l'un d'eux, lors qu'on le lioit au poteau oiiilde- voit être brûlé. Il fe mit à genoux , (jr com- mença a entonner des Hymnes , qu'à peine U fumée & la flame purent interrompre ; & apercevant que le bourreau mettoit le feu par derrière, de peur de l'effrayer , Vien, luy dit-il , ik l'allume par devant ; car fi j'a- vois craint le feu je ncfuois pasicy , puis cju'il n'a tenu qu'à moy de l'éviter. Cesi donc en vain qu'on prétend de reprimer pat les tour mens l'ardeur de ceux qui tachent d'introduire des nouveautez. dans la Religion: cela ne fait que les affermir , & les rendre capables de fouffrir & d'entreprendre de plus grandes chofes. Ouand des cendres de ceux qu'on a fait mourir il en renaît de nouveaux-^ & que le nombre devient fins grand , la pa- tience fe change en fureur : au lieu de de- meurer fupplians , ils deviennent preffans é* importuns ^ & fi d'abord ils avoient fui les fupplices , ils prennent enfn les armes volon- tairement. C'eH ce que nous voyons en Fran- ce depuis plus de quarante ans , & ce qu'on a vu au Pais-Bas depuis un peu moins de tans. Les chofes font enfin venues à de fi grandes extremitez. , que ce feroit inutile- ment qu'on efpereroit d'arrêter le mal par le fupplice d'un petit no7nbre , comme on a pu le faire peut être au commencement. Défor- mais qu il est répandu fur des peuples & des nations entières , à" même fur toute l Euro- pe , il nefl plus a propos d'employer Vépée dit Uagifirat • il faut celle de la parole de Dieu pour y apporter du remède : car cettx qu'on ne peut plus contraindre , tlfaut tâcher de les attirer doucement à des converfations modé- rées , cr à d'amiables conférences. C'eff ce qui avoit obligé St. Augi<ftin à y convier par une de fes lettres Proculien , Eve que du par- ty Donatifle. Jl prioit même Denat, Procon- jul d'Afrique , qu'on ne fit point mourir ceux fo 5 de
de cette fecte ; parce qu'il ejl'imoit bien con- vcnabU À ceux qui fuirent la vraje Religion^ de demeurer conjUns daus leur pcrpettielie refoluuon , de jurmefiter le mal par le bien. Il dit dans le même fens , écrivant au Gou- verneur Cecilien , qu'il vaut mieux guérir l' enflure de leur furilege vanné en les inti- midant , que de la retrancher par des fup- plices. Aufft ajomc't-il dans cette belle Epî- tre qu'il écrit a Boniface , que dans ces [dit f- mes ou il ne s'agit pas de la perte d'une ou de deux perfonnes , mais où il y va de la ruine des peuple^ eniien , il faut relâcher quelque chofe de la feverité , & prévenir de plus grands maux par la chanté, Sentimens qui ont fi fort prévalu d.ms l Eglife , que dans le Décret de Gratien on Us trouve une ou deux fois. St. Augujlm donc qui avait l efprit doux était de ce fenîimenl^ que le cours de ces fortes de maux ne fe doit pas arrêter par la rigueur^ far la violence , par l'autorité ^ qu'on avan- ce plus par les inftruciions , que par les com- mandemens ; par les avis modtriz. , que par les menaces : que c'eïl ainfi quil faut agir lors que c'eft la multitude qui pèche, & qnon lie doit ufer de feverité , que lors qu'il n est quejiion que d'un petit nombre. Que fi ceux qui en ont l'autorité font obligez, quelquefois d'employer les menaces ^ ils le doivent faire avec regret , & ne faire peur de la peine que far des paff.iges de l'Ecriture ^ afin de faire plutôt craindre Dieu qui menace par leur bouche , que de fe rendre eux- mêmes redou- tables par leur propre puiffj,nce ^ comme il le dit dans l'Epî'.re à l Eveque Aurelius. Et cer- tes il faut confcffer , qu'il n'y a point dans tous les monumensde la faine antiquité d' exem- ples approuvez, du fupplice des Hérétiques ; & que l'ancienne Eglife a toujours eu en hor- reur l'ejfufton du fang ; ou fi on s'eft porté quelquefois à cet excès , les Eveques qui iivoient une véritable pieté l'ont detcflé hau- tement. Cela parut dans l'affaire de Prifcil- lien , qui ayant épandu dans les Gaules , &
fur tout dans V Aquitaine , le poifon de f<t mauvaife doctrine y fut puni du dernier fup-' fltce avec fes feciateurs dans la ville de Trê- ves ^ vers l'un ^ii^. de]. Chki ST. il y fut condamné par Maxime , d'ailleurs affei bon Prince , mais qui avait tifurpé l'Empire fur Grauen , quil avait fait mourir a Lion\ quoy que St. Martin eût tiré parole de l'Em- pereur qu'il ne conclurait rien de fanglant contre les coupables , é" qu'il eût fortement exhorté Itactus & les autres Eveques à defif- ter de leurs accufations. Auffi tous les autres Eveques de fapprouverent- ils cette procédure comme très mauvaife ; & quoy qù'Itacius devenu plus avife après le mal commis , & cragnant que le reproche n'en tombât fur luy, eût tâché en vain d'échapper , ;/ ne laifjâ pas d'être condamné par Theoguijie. Ce ne fut même qu'a l'extrémité & comme pur force^ que St. Martin confentit d'entretenir cammU" won avec le party des Itaciens. De même St, Ambrotfe qui fut envoyé en ce tems-la vers Maxime par l'Empereur Valeniinien II. frère de Graticn qui avait été tué ■> témoigne dans fa relation » que pendant qu'il fut a Trêves il s'abftmt de la communion de ces Eveques partifans d'Itacius , qui voulaient qu'on pu- nît de mort les Hérétiques. Et lors que ces Eveques furieux eurent porté Maxime a en- voyer en Efpagne des Commiffaires armez.) avec plein pouvoir de rechercher les Héréti- ques , & de procéder contre eux jufqu'â la confifcatian de leurs biens, & au dernier fup- plice, le même St. Martin obtint de luy qu'il révoquât cet ordre inhumain : tant ce bon Eveque avait a cœur non feulement de can fer- ver les chrétiens > qu'on eût pu tourmenter fous ce prétexte , mais aujjt de délivrer les Hérétiques ; prévoyant bien que cette tempê- te -, fi on ne la détournait , emporterait une grande quantité de fidèles. Il y avait alors en ejjet peu de différence fenfible eîïtre les Or- thodoxes & les Hérétiques , defquels on fai- foit le difcernement plutôt far la faleur du
vifa-
rifage & par thahit , que par U diverfité des fenîtmens. Au refie l'berefte qui avoit fris racine pendant la vie de PnfciUicn , ne fut point réprimée par fi }nort: au contraire elle s'affermit) & je repandit davantage -y & (es fixateurs qui l'avoitnt honoré d'abord comme un Saint , vinrent a le vénérer com- me un Martyr ,' aj/ant rapporté en Lfpagne fou corps y & ceux des autres quon avoit jait mourir avec luj , & leur ayant fuit de ma- gnifiques oh fe que s. Us poujjtrcnt tnéme leur fuperjlitiûnfi avant , qu'ils regardèrent com- me le ferment le plus religieux ctliij qu'ils faifoienîpar le nom de PrifciUien. Il s'tnfui- vit de là une fi longue divifion entre les Evê- qucs des GaiiUsi qu'après plus de quinz.e ans de guerre y à peine put-elle être ajfoupie ; le peuple Chiêiien ô' tous les gens de bien étant cependant expofct. à lu raillerie-, & a l'inful- te des ennemis de la Rtlis^ion. Toittes les fois que je lis ceU dans Sulpiie Severe -, qui a écrit des affaires de fon tems avec autant d'é- legance que de bonne foy , je me remets en mémoire l'état des chofes tel qu'il éioit en mon enfance ^ lors que les mouvemens de la Reli- gion étant funenus-, on marquait de l'œuil comme digne de la mort une Vifinite de per- fonnes , f.ifpecles non par leurs mœurs ou par leur conduite paÇjée , mais pur l air de leur vifage , & par la minière de leurs habits. Alors la chaleur des difputes, la haine, la fa- veur-, ta crainte-, l'imovflance-, laparcffcy l'oifiveté , l'orgueil de ceux qui avoient le maniement des affaires-, dechiroient le Royau- me en factions, cr niettoicnî la Religion mê- me dans un danger évident , par Us troubles & les agitations de l'Etat. Depuis le tems de St. Mirtin , on eut plut de modération dins l'Eglife pour les dévoyez, de la Foy. On fe contenta de Us bannir-, ou de Us mettre a l a- mende \ m.iis on épargna toujours le fang. De forte que l'an 1060. quelques-uns des fe^atetirs de Berenj^ir Archidiacre d'Artgcrs-, ayant fcmé fa do^rme dans le pais de Liège,
de Juliers , & en d'autres endroits des Tais- Bas , Brunon ArcbevCijue de Trêves fe con- tenta de Us chaffer de fon Diocefe , mais il ne les fit pas mourir. L'Eglife nufa point de- puis cela de plus grande feverité jufquaU tetns des Vaudois ; contre le f quels Us plus cruels fupplices ayant été inutilement mis en tiftge , & le mal ne faifant que s'augmenter par ce remedcidont on s'étoit ftrvi mal a-pro- pos , on leva de puiffantes armées contre eux, & on leur fit une guerre d'auffi grande con- fequence , que celle qu'on avoit eue aupara* vant contre Us Sarrafms. Tout l'effet que cela prodmfit , fut qu'ils furent plutôt taiUe7 en pièces , chafit?-, depouille7de leurs biens & honneurs , dtjperjez. de tous côtcz., que convaincu de leurs erreurs , & ramené? an giron de l'Eglife. Enfin Ci'smiferables qui avoient eu recours aux armes pour fe deffen^ dre , ayant été eux-mêmes vaincus par Us ar- mes , s'enfuirent dans la Provence-, & dans cette partie des Alpes qui est voifine de nôtre Trame • oii ils trouvèrent une retraitte pour eux & pour leur doctrine. Une partie fe re- tira dans la Calabre , où ils fe maintinrent Ung^icms , même jufqii'au Pontificat de Pie 1 V. Une autre partie p^iffa en A llemagne , & s'établit dans la Bohême , dans la Pologne & da;is la Livonie ; & d'autres enfin fe tour- nant du côté d Occident i fe retirèrent en An~- gUtcrre : & on croit que de ceux-cy esi forti Jean Wiclef , qui après avoir enfigné long- tcms la Théologie à Oxford , & y avoir eu bien des difputes & des contentions fur la Re- ligion , mourut enfin d une mort naturelle , il y a environ 500. ans : car ce ne fut que Icng- tems après fa mort , q?:e U M.rg'Jîrat s'uvifa de hy f^irc fon procès , & defiire brûler fes os pubUqiu ment. Depuis d a paru pluficurs autres fiâes jufqu'à notre tems -y ou après avvi.- malheureufement cffayé la ftvirité des fupplices , on en esi venu des dtfptites à des guerres ouvertes ^ é" a des foulevemens en- tiers dépeuples ; comme il efi arrivé en Alle- magne ,
magne, en Angleterre & en France. Il fe- roit mal-aiféde dire lequel y a le flusfouffert de dommage , de la tranqttiU'ué publique , ou de la Religion^ le fchijme s' étant formé-, & i étant affermi , pour avoir été trop long-îems négligé pur ceux qui pouvaient & qui dé- voient y Apporter du remède. Au refie je ne dis point cecy pour remuer de nouveau cette qucflion qu'on a tant agitée, fi l'on doit punir de mort les Hérétiques. CcLi ne convient ni au tems ou nom fommes , ni a ma profcffion. Je riay pour but que de faire voir , que les Princes qui ont mieux aimé terminer amia- blement, & même a des conditions defavan- tageufes, que par la force des armes^ les guer- res caufées par la Religion , ont agi prudem- ment , & conformément aux maximes de l'ancienne Eglifc. C'est ce que comprit fort bien l'Empereur Ferdinand, Prince très fige, qui ayant appris dans les grandes & longues guerres ou il avait été exercé en Allemagne fous fon frère Charles- quint, combien avaient mal rcuffi les armes qu'on avait employées contre les Protefians , ne fut pasfi-tot parve- nu à l'Empire , qu'il établit la paix de Reli- gion par un Décret folennel, qu'il confirma encore depuis a diverfes fois. Et parce qu'il avait remarqué que les affaires de la Religion s' accommodoient mieux par des conférences amiables, comme il en avait fait lejjai aux Diètes que fon frère avait tenues à Ratisbone & à normes , il refolut un peu avant fa mort , & immédiatement après la célébration du Concile de Trente , de fuivre l'avis de fon fils Maximilien , Prince de très-grande pru- dence ; & afin de fat is faire les Protefians qui ne s'étaient point trouvez, a cette AjJ'emblée , il voulut bien leur accorder encore une confé- rence nouvelle y & choifitpour cet effet Geor- ge Cajfander , homme également favant & modéré , afin d'examiner amiablement avec les Docteurs Protefians , les articles de la Confcffion d'Ausbourg qui étaient en difpute. Mais la mauvaife faute de ce bon perfonnage.
& la mort précipitée de l'un & de l'autre , privèrent l'Allemagne des fruits qu'on avait fujet d'en efperer. A l'exemple des Allemans, les Grands de Pologne firent le même regle-_ ment dans leur pats. Mais Emanuel Philibert Duc de Savoye, après qu'il eut été remis enfes Etats, a la faveur de l'alliance qu'il avoit faite avec nous , s étant engagé mal-a-propos dans une guerre dommageable avec les habitans des Valées de Piémont-^ fait qu'il eut pris cette refolution pour faire parler de luy en Italie » foit qu'il voulût fiire plaifir à d'autres, mê- tne àfes dépens^ il repara bien-iôt cette faute en changeant d'avis , & accorda liberté de confcience a ces pauvres peuples, de qui la vie était d'ailleurs innocente ; & garda toujours depuis religteufcment la paix qu'il leur avait donnée. Je viens à prefent a ce qui nous re^ garde, & je vais mettre le doigt fur iineplaye fi délicate , que je crains de ni attirer des af- faires pour avoir eu feulement la penfee d'y toucher. Mais puis que j'ay commencé , j'a- chèverai en un mot, & je dirai librement y puis que cela efl permis fous Votre Règne, que la guerre n'ejl pas un moyen légitime de re- médier aufchifme de l'Eglife. Car les Prote- fians de ce Royaume , qui pendant la paix étaient extrêmement diminuez, de nombre & de crédit , fe font toujours accrus pendant les guerres, & au milieu des divifians-^ & les nô- tres ont commis une danger eufe faute, quand ou par un z.êle indifcret de Religion , ou par une vaine ambition & un defir de chofes nou- velles , ils ont fait renaître , au grand péril de la Religion , & fous des aiifpices funefies a la France , une mortelle guerre tant de fois finie é" recommencée. A quoy fervent les pa- raies ? La chafe parle d'elle-même. Apres bien des troubles, pendant lefquels ils s'étaient faifis de pliifteurs villes en divers endroits du Royaume , la paix s" étant faite f« 1 565 . ^ les villes étant rendues, ne fut-ce pas une chafe merveilleufe devoir tout d'un coup la tran- quillité fe rétablir : & combien ce calme qui
dura,
dura quatre ans fut agréable aux bonnes âmes , & avantageux à la Religion , qui fe trouva dans une grande fureté, par les bonnes loix q»é- tablit celuj qui avoit la première Charge de U Robe {' Loix dont la France n'aura jamais fu- jet de fe repentir , f\ elle esl capable de les ob- ferver. Mais par une fatalité ennemie de notre bonheur , nous nous lajfames de la fureté publi- que quelles avaient rétablie , & remettant les confeils de paix , nous nous engageâmes dans une nouvelle guerre , qui fut également fine fie & au peuple , & à ceux qui l'avoiem confeiUée. Ceux qui favem ce qutfe pajfa à la malheur eu- fe entrevue de Bayonne, entendent bien qui font ceux dont je veux parler : car depuis ce tems-la tout fe tourna chez, nous a i artifice & à la guer- re , par nilufion que nous fit la fr.aide des "Etrangers. Ce fut alors que le Duc d'Albe étant envoyé en Flandres avec une puijjante armée , èîd pretnierement l'Autorité à la Duchcjfe de Varme-, qui avait toujours gouverné ces Provin- ces avec une grande modération. En fuite il porta par tout le fer & le feu j il bâtit des Ci- tadelles de tous cote?', il chargea ces pats libres d'impôts extraordinaires, pour fournir aux frais de la guerre ; & ruinant U liberté des villes opulentes, il les reduifxt à un état pareil a celuy d'un puijfant corps , a qui on aurait retranché fa nourriture. Ces confeils violens & précipite? furent fiiivis du defefpoir , c^ enfin du foulcve- ment des peuples. Et quoy qu'on ait cru pour quelque tems pouvoir y remédier , l'if[ué en a pourtant été telle, que la plus grande (^ la meil- leure partie de ces Vrovinces, & la plus commo- de pour la navigation , qui fait la grande ri- chejfe du pais , s'e^ comme arrachée du rcfle du corps , é" tjl à prefent gouvernée par les Etats-, qui depuis ont toujours fait la guerre , même avec d'heureux fuccés , tant contre les autres Vrovinces, que contre toute la pui^.ince d'Ejpa- gne. Pour détourner ce malheur, François Bau- douin natif d'Ar ras , l*un des plus célèbres Ju- rifconfulres du tems, avait long-tems aupara- vant confeillé aux Etats de ces Provinces , de Tome I.
prefenter Requête à Philippe 1 1. pour luy de- mander la liberté des Protejtans, qu'on perfecu-. tait alors par tout, & le fupplttr quH fur fit les rigueurs des fupplices & de ilnquifnion. Il en écrivit même un Traitté François, ou il prouvait par de fortes raijans , qu'on pouvait bien mieux appaifer ces differens de Religion par des confe^ rences amiables, & par un droit égal qu'on fe- rait obferver entre ceux qui avaient part a ces controverfes , que par la force , & par la voye des armes: au lieu que fi l'on continuait à fe fervir de la violence , // prévoyait que les farces des Protejians , qui n'étaient encore que médio- cres, O' partagées en diverfes fuciions , vien- draient à fe reunir, & qu'enpn des difputes verbales an en viendrait aux armes & a la re^ volte. J'allègue d'autant plus librement, & fur tout 4 Votre Majejlé, ce prefige d'un Flaman fur les affaires de fan pais, que cet ho'mme ayant d'abord embrajfela dociri/ie des Protcftans, mais l'ayant en fuite abandonnée, après une foigneufe levure des Pères , il garda néanmoins toujours U même modération d'ijprit ; & au lieu d'en- trer dans des fenîimens de haine contre ceux dont il avait abandonné le party , comme font la plupart des autres , il apprit de fa propre f r- reur , par un exemple de chanté fart rare juf- qii'a prefcnt , a être touché de compaffion pour celle des autres ; é' a tâcher de tout fan pouvoir de corriger , par un bon ufige de l'antiquité, le mal que la témérité & l'amour des nouveauté? avait introduit. Etant dans ces fentimens é^a- lemenî pleins de prudence (jr de pieté, il repajfa d'Allemagne en France , ou en ayant conféré avec le Seremffxme Roy Père de Votre Majefté , il n'eut pas de peine a les luy faire goûter. En fuite de quoy il tint toujours un rang honorable dans la Cour de ce Prince, il eut quelquefois part aux confeils , à" fut mis auprès du Prince votre frère naturel, pour avoir foin de fan édu- cation. Qu'an ne nous vante donc point le ?êle de ces gens , qui comme s'ils étaient plus atta- che':^que nous a la vraye Religion , ont fait fi long-tems vanité, à deffein de deshonorer le nom i Iran-
Yrxnco'ut de n avoir jamitis foufcritles Trait- mz. de pAix avec les Hereriques^ Qu'Us voient 4prefent à qiioj fe font tcrmme':^tous ces beaux (onfeils ) cr qu'ils pleurent à toifir U perte de tant de belles Provinces , & la ruineufe diffipa- tion de leurs propres rkbejfcs. Qu'ils xoudro'iem À prefent de tout leur cœur avoir été fages com- me nous , quils blamo'tent autrefois avec tant d'affectation l Qu'ils racheter oie ut volontiers au flus haut prix tant d'années qu'ils ont perdues à leurs guerres civiles , & qui s'ils les avoient employées contre l'ennemi commun des Chré- tiens, auroient pu fu^re a le chaffer de la Hon- grie & des deux Mauritanies , ce qui leur eût été également glorieux & profitable. Mais il ejl à craindre que ceîtt imprudence que nom blâ- mons dans les autres , ne nous puiffe être juge- ment reprochée : foit par notre propre fureur , foit que nou6 y ayons été pouffez, par ces mau- vais confeillers dont nous venons de parler , nous avons donné lieu a une infnité de troubles fu- nejies ; pendant lefquels îious avons vu piller nos villes , rafer nos Temples , que la fureur des premières guerres avoit épargne"^, dcfoler nos Provinces , renouveller les haines que la faix avoit affoup'tes i augmenter les foupçons-, relever les armes , qu'on n avoit quittées pour quelque tems que pour les reprendre avec plus de violence. On ft a la vérité enfin U paix ; mais plus elle devait être agréable & precieufe , fins elle fut violée par un noir attentat, que nous devons fauhaitter qui s'enfeveliffe dans un éter- nel oubli ■■, fentens cette horrible boucherie qui fe fit deux ans après , dans laquelle peu s'enfa- lut , Sire , que Votre Majefié, que le Ciel avoit deftinêe au retabl'ijjement des affaires de la France , ne fe trouvât enveloppée, A peine avions-nous évité ce terrible écueil , que dans ïefpace de deux ans il s'en rencontra plitfieurs autres , contre lefquels nous allâmes faire nau- frage avec la même imprudence. La vengeance divine nous pourfinvit de prés , & punit le cri- me de la France par la mort de fon Frince ; qui ayeitfait cette faute plus par le confeil d'autriù.
que par fa propre inclination. Queft en fuite fon fucceffeur ? Etatit revenu de Pologne > // n'eut point d'égard aux falutaires avis de l Em- pereur MaximiUen, & de la République de Ve- nife , par les Etats de qui il avoit paffé -^ & à fon arrivée en France , // préféra le parti de U guerre qu'ils luy avoient deconfeillée , a celui de la paix que les Proteflans luy demandaient a mains jointes. Mais s'en étant bien- tôt repenti, il leur accorda trois ans après un Edit de Pacif- cation , dont il fe ft depuis toujours honneur > l'appeUant fon Edtt -^ & pendant fept ans entiers il y eut une profonde paix , qui ne fut troublée que par quelques légers mouvemens , & par quelques courfes de gens de guerre , tantôt dans un endroit > tantôt dans un autre. Mais il n'y eut point de pr'ife d'armes importante , jufqua ce qu'enfin des gens ennemis du repos , ne pou- vant fouffrir que la France fe paffât d'eux dans la paix dont elle joutffoit , excitèrent tout-À" fait a contre-tems une funefie guerre , a k- quelle ce Roy fe laiffa contraindre par un aveu- glement fatal , & par les mauvais confeils de ceux qu'il avoit autour de fa perfonne. Et quoy qu'il femblât d'abord que ce fût â vous , Sire > qu'on en vouloit; ce fut pourtant fur luy que retomba bien-tot tout le faix des armes. Je fré- mis d'horreur au fouven'ir de ce deteflable par- ricide, qui a lai ffé un éternel opprobre fur U France > comme il doit couvrir a jamais de honte & d'infamie ceux qui en témoignèrent alors tant de jove^ Ce malheur attroit entraîné l'Etat & la Religion dans une ruine fans rejfour- ce , fi par une faveur celejle que nous n'ejperions pas, vôtre Majeflé , que Dieu qui ve'illoit pour nôtre faltit avoit refervée â nôtre tems , neut fcrvi de colomne & d'appiiy a l'Etat ébranlé -^ & n'eût, pour ainfi d'ire, arrêté par fa vertu U roué de la calamité publique , qui alloit tout écraftr par fon mouvement preiipité. En quoy cependant vous avez, jufltfépar vôtre exemple, qu'encore que toutes chofa foicnt affujetties aux loix humaines , // en faut panant excepter U Religion, qui ne veut être, comme je lay déjà
diti
4it , ni contrainte , ni commandée. Car ayant été dès votre enfance agité de tant d'adverfite:^y fendant les guerres civiles ; ayant été comme affiegéde plifieuïs armées en même tems , après tant de batailles gagnées ou perdues , lors que fdr le malheur du tems il était également affli- geant de vaincre ou dètre vaincu -^ vous ave:^ éiH milieu de cela perfeveré dans vos premiers fentimens pour la Religion , comme dans un combat de pied ferme , ou il neH permis ni de gauchir , ni de reculer. Vous ne vous êtes lai0 ni flatter par l'ejpaance , ni ab.ittre par la crainte. Mais enfin quand vous ave"^ vu que tout cedoit à votre valeur , vous vous ê.es rendu ^e vous même aux très-humbles prières de vos fujets -, & vous étant laiffé vaincre au milieu même de vos vicaires, vous êtes revenu par un effet de la Grâce À la Religion de vos Ancêtres. Depuis cela vôtre équité vous a toujours fait garder à vos fujets cette même modération-, dont vous aviez, éprouvé vous-même l'utilité. Vous Avex. révoqué tous les Edits qui avaient été ren- dus contre les Protefians, & contre vous même, malgré le Roy vôtre predeceffeur^ & après avoir fait une glorieufe paix , tant avec vos fujets qu'avec les Etrangers , vous avez, confirmé par untroiftéme, un ou deux Edits donnez, en fa- veur des Proteflans j vous les avel^ rétablis dam leurs maifons , dans leurs biens & dans leurs honneur s \ vous en ave? même avancé quelques- lins d'entre eux aux premières dignité"^, dans l'efperance que les haines & les animofxtez. ve- nant a fe rallentir , la concorde prefcrite par vos Edits fe retahliroit phis aifément , les efprits reprendraient leur première ferenité , & ayant écarté le nuage des paffions^ feraient plus ca- pables de choifir ce qui eH le meilleur dans la Religion , cefl-à-dire, ce quil y a de plus con- forme à l'antiquité. Auffi efi-ce le chemin que les plus excellens d'entre les Pères ont toujours cru qu'ils dévoient tenir , pour ramener a la communion de l'Eglife ceux qui s'en étaient fe- farez,y par quelque entêtement d'erreur ou d'a- mmofué. En quoy cesfages Dateurs faifoient
voir , que céioit la charité qui les fat fait agiry bien plutôt quel envie de vaincre. C'eHdans cet efprit que St. Augufiin traitte toujours les Pelagiens de frères ; & qu Optât de Mileve , qui vivait dans le même tems , en fait de mêfng À l'égard des Donattfles. C'eft ainfi qu'avant eux St. Cyprien difoit y qu'il fouhaitterait & qu'il confeiileroit toujours a iEglife , de ne laif- fer périr aucun des frères s'il était poffiblet mais de les recueillir toujours dans fon fein , avec une joye de mère affectionnée , comme un peuple qui ne ferait qu'un corps par l'uniformité defes fentimens. Et défait entre ceux qui font à prefent fe parez, d'avec nous , il y en a plU' fleurs , qui pour me fcrvir des paroles de St, Augufiin , ne demanderaient pas mieux que de revenir , fi la tempête était appaifccy au lieu q'te U voyant continuer , & craignant même quelle ne renaiffe , ou quelle n'augmente après qu'ils fe feront reunis > ils gardent la volonté de foulager les infirmes parleurs confeds : & fans fe feparer des affemblées particulières, dans lefquels ils fe trouvent engage? , ils deffendent jufqua lafn de leur vie , par leurs paroles <^ par leur témoignage , la foy qu'ils favent qui s'enfeigne dans l'Eglife Catholique, llsfouffrent cependant avec patience, pour la paix de iE- glife , les injures qui fe font des deux côtez^ ; & montrent par leur exemple avec quelle ar- deur , quelle fincerité, quelle charité il faut fervir Dieu. Pour ces confédérations , ce que j'ay appris de l'expérience , auffi bien que de vôtre exemple , Sire , m' ayant fait juger que je devais contribuer de tout mon pouvoir a U paix de l'Eglife , j'ay afftclé de ne parler mal de perfonnc : j'ay parlé même des Protejîans avec efiime , principalement de ceux qui fe font difiingucz.par leur favoir ^ ér d'autre coté je n'ay point difftmule les fautes de ceux de nô- tre party ; perfuadé avec plufieurs honnêtes gens que ceux-là fe trompent extrêmement , qui croyent que toutes les herifies qui travaillent au- jourdhuy le monde par leur nombre , & par leur diverfité , tiïent plus de force de la mali- i a gnité
gnîti & des artifices des SeStaircs , que de nos vices & de nos [caudales. Je croy auffi que le vray moyen de remédier tant aux egaremens du farty oppofe , qu'a nos propres défauts , eH de bannir de l'Eghfe & de l'Etat toute forte de trafic ) de recompinfer le mente , d'établir four conducieurs de l Eglïfe des personnes de Ça- voir î de picté\ d une vie exemplaire , d'une prudence & d'une modération déjà éprouvée ; d^ de pourvoir aux Charges de l Etat , non des gens de néant , que la faveur & l'argent y fourraient élever :, mais ceux qui s'en rendraient dignes par une intégrité reconnue , par une fo- lide pieté j par leur defimereffement y en un mot far U feule recommandation de leur vertu. Au- trement fi on y admet fans difïtnciion les gens de bien & les autres , il eH évident que la paix ne fauroit être de durée. Il faut neceffairement que les Etats fe ruinent , dont les Souverains ne fu- rent pas dijlinguer Us bons d avec les methans , & ou , félon le proverbe des Anciens , on laiffe manger aux bourdons , ce qui n'appartient qu'aux ubi-illes. Il n'y a rien de plus oppofe a la fidélité que nom devons premièrement à Dieu, & en fuite a vous , Sire , & à vos fujets , nous tous qui fommes dans les Charges & dans les offices du Royaume-, que l'efperance d'un profit honteux. Si nous entrons par la dans nos em- plois, il ejlfort a craindre que nous ne tournions enfin toutes nos vues de ce feul coté, comme vers notre pôle 'y & que nous laifjunt aveugler à l'a- varice , nous ne mettions fous les pieds toutes les confiderations de lafoy que nous avons promife a Dieu & aux hommes. L'avarice efl un monflre cruel & infatiable , & qu'on ne peut tolérer, "Elle ne dit jamais , cell aHez. Quand on luy donnerait avec le^ immenfes richeffes de la Fran- ce , les montagnes d or de Vcrfe-, & les trefors des deux Indes , on ne raffafuroit pas fon avi- dité. En effet les vices ne gardent point de me- fure : ils ne fe peuvent borner. Leur progrés ref- femble a celuy des corps qui roulent dans un pre- cipice-> rien ne les fuit ceffer que la ruine de ceux qu'ils entraînent. Au contraire la vertu, com-
me dit Simonides , efi femblable à Un cube : eUe refijie par la fermeté de fa bafe a toutes les vi' cifjitudes de la for tune, & des affaires humaines; O" s'affujettifjant À la nature > qui diverfifie le$ aciidens de la vie en plufieurs manières, elle tient iefprit de l homme dans une incorruptible liberté. Elle eH contente d elle-même ; propre à tout par elle-même. Etant donc d'un fi grand ufage aux hommes , fi on la lonfidere dans urt Etat , & qu'on luy faffe tenir 'le rung quelle mérite , il y aura fans fur charger l'Epargne y & même en fouUgeant les peuples , de quoy faire des liber alitez, a ceux qui n'en feront pas indi- gnes. Pour ce qui eji du gouvernement de l'Egli" fe , quoy que fon adminifîration ne regarde pas dirtctement vôtre Majejie , il eji pourtunt digne de fes foins quelle prie , qu'elle preffe , quelle interpofe mtme fon autorité envers ceux qui y prefident-) afin qu'on s'y conduife de même. Que vôtre Mujcjté, Sire j afpire a s'emparer de cette nouvelle gloire ; qu'elle penje continuellement que cet heureux loifir, dont nousjouifjons tous a prefent , ne fauroit être de durée > fi on ne l'em- ployé à avancer la gloire de Dieu qui nous l'a donne ■,& fion ne s applique puijfumment a ter- miner les differens de la Religion . ] / femble que c'eH un grand defftin que je vous propofe , & qui au jugement de plufieurs perfonnes , qui fe contentant de la douceur de leur condition pre-. fente , ont du degout pour les confcils qui peu- vent être falutaires à l'avenir , ne doit pas être témérairement formé dans le temps ou nous fom- mes. Mais fil entreprife eH grande y larecom- penfe y fera proportionnée ; & un grand genie^ tel qu'eft celuy que Dieu vous a donné , ne peut ni ne doit s'attacher a rien de médiocre. Et cer- tes après avoir reprimé les depenfes fuperfiués, é" la licence des voler les , & apris aux particu- liers a régler leur entretien par leurs moyens , chofe en quoy la France vous a & vous doit avoir des obligations éternelles ^ il n'y a rien de plus digne de l'élévation où vous êtes , que de remettre dans un bon ordre les loix divines & humaines -^ ouïes guerres civiles j qui ont dure
tant
Unt dUnnées , ont jette tant de confufion. Vo- tre Muujte j trouvera, cet avantage , que la coUrt'de Duuetant appaifee envtts nou^ -, & tant les PreUis que les J:ige^ s'aqtmtant digne- ment de leurs Cbaiges, la vente trmnpheïa du .menfonge ^ la candeur & la cburite jinccre-, du degutjiment & de la dif/umUtion. Les loix Viendront a bout de l'avance & du luxe 3 vues quitoutoppojc7qt'ilsjonty ne Liijj'ent pus de Je trouver meltz. dans la malignité du ftecle. X^s bonnes mœurs [tr ont cultivées-^ la piidtur & la modijtte , dont on fe moquoit ouvert ementi reviendront en ejîime j la vertu reprendra fou prix , & l'argent au contraire perdra le crédit (^l'autorité' exdfjive, que la corruption des coeurs luy avoit donnée. Ce font là vos vœux , îSire. J'ay fouvent oui dire à Votre Majefié , quelle voudroit avoir acheté une telle felictté far la perte de [on bras : ce font ceux de tous vos fi jets. C eft mon jenti?nent touchant le bien public; fur lequel fi je me fuis trop étendu-, & ft j'enuj parle un peu librement. Votre Ma- jtjie le pardonnera , s'il luy pUtt , à la fran- chife d un homme , qui a eu élevé dans la li- berté que vôtre Règne a rendue à nôtre pairie; (^ qui seïi cru obligé, pour aller au devant de l'envie & de la calomnie, d'abuftr de votre tems par une fi longue Préface. J'étois prêt de la finir , lors que quelques-uns de mes amis m'ont averti qu'il ne manquerait pas de fe trouver des perfonnes , qui diront que faarois bien punie p^ijfr de venir , comme j'ay fait, au détail des chojes qui regardent nos liber tcz, , nos immunité":^, nos loix , nos privilèges ; (j qui jugeront que lela fait moins a la gloire de votre Règne , qu'il ne fait de tort aux particu- liers. .Quoy que je pujfe repondre bien des cho- fesàcela, je cramdrois en m'y étendant , de donner lieu de dire que je prens plaifirame forger des fantômes pour les combattre ^ & f au- rais peur anfi en ne difint rien du tout , que je ne donnafie occafion à la critique de mes en- nemis. Je dirai donc en peu de mots la cbofe telle qu'elle efi. J'ay reçu comme par une tradi-
tion dôme fit que , non feulement de mon père > quiionnne tout le monde jait , étoii un treS" honneie homme , & jon attache a l'ancienne Religon, mats au j fi de mon ayeul & de mon bifuyeul , & j'ay apporté a l adnnnijiratwn des ajjaires de l ttat ce jeniiment , qu'upres ce que je dois à Dieu rien ne me devoit être plus cher ô" pli^^ facré , que l'amour & le ref- peù que je dots a ma patrie ; & que je devais toujours jaire céder toutes les autres conjidera- tio/ii a celle la j perjuide que félon le dire des Anciens, la patrie efi une féconde Divinité '^ & que les loix ont quelque chofe de divin : de forte que ceux qui les violent , de quelque prc texte mandié de Religion qu'ils fe couvrent , font au'.ant de facrileges & de parricides. Si donc il y a parmi nous des gens , cr plut à Dieu qu'il ny en eût point , qui ne pouvant ruiner le Royaume à force ouverte, tachent par des voyes fourdes & obliques de l'ébranler , en violant les loix fur lefqiielles il est appuyé, & par lefquiUes il s'est accru jufqu'au degré de piiijfiam e& de grandeur ou nous le voyons ; en veriié nous fommes indignes de porter le nom de François , & de pajjer pour de fidèles fu- jets, fi principalement fous vôtre Règne, nous ne nous oppofions de toutes nos forces à ce tnal, qui pourvoit fe glijjer infenfiblement. Car le jentiment de nos Ancêtres , dont la pieté était au plus haut degré , a toujours été que ces loix font le gage facre de la confervatian publique , & comme le Palladium de nôtre France \ que tant que nous le garderons , nous n'avons rien a craindre de ceux de dehors ; qtte fi nous le laijfons perdre , nous n'avons rien qui foit en fureté contre leurs attaques ; que s'il nous e^ ravi par nôtre lâcheté ou par nôtre négligence » nous avons a craindre que fUlijfe, qui nous l'aura volé par [es artifices , ne fuborne quel- que Sinon , pour introduire au milieu de nôtre France un cheval fatal , plein d'ennemis étran- gers, & détruire la plus fiorijfante partie de l Europe, par un auffifunefte embrafement que le fut celuy de Troye, Mais Dieu nous preferve i 5 d'un
d'un tel malheur , qui n'arriveu pas pendant qutl nom conservera votre perfonne facrée , & celle de Monseigneur le Daufin, Ce feroit icjf le lieu de m étendre fur les loUanges , & fur les glorieux exploits de Votre Majejié, à quî nous fommes redevables de nôtre efperance , de nôtre patrie , & de nos biens ^ & c'est fans doute à quoy ^attendent ceux , qui fans avoir égard à la médiocrité de mon génie , n envi figent que la riche matière de vous louer , que vous fourni f-- fez. k tout le monde. Hais outre que mon def~ fein na. point été de dreffer icj/ un Panégyrique^ je fajr d'ailleurs que vous prene'^^ plus de plat fr à mériter les loiianges, qu'a Us entendre. Vo- tre Majefîé est defccnduc par les milles , de la plus illujtre & de la plus ancienne famille qui ait jamais porté le Sceptre. Ne aux extremi- teTdu Royaume dans Us monts Pire-nées > vom vous êtes avancé au milieu des guerres & des difficultés, • vous avez, évité heureufement tous les pièges , & toutes les embûibes qu'on avoit drejfées contre vôtre enfance ; dans vôtre ado- lefcence , & dans vôtre âge parfait vous avC^ reprimé courageufement les efferts de vos enne- mis ; vous ave? été conduit comme par la main de Dieu du fond de l'Aquitaine , ou appelle auprès du Eoy dans un tems de brouilleries & de confufions , afn qu'il n'y eut perfonne qui fut s'emparer du Trône y qui devoit bien- tôt demeurer vacant , que le fucceffeur légitime. Depuis que vous êtes parvenu a la Couronne , vous avc7 tempéré l'autorité fouveraine par la clémence & par la douceur , aimant mieux ga- gner par vos bienfaits Us coeurs qui étoient alié- nez, de vous , que de Us tenir dans le devoir par la crainte. CViî pour quoy ceux qui étaient auparavant vos ennemis , ont pris une telle con- pance en vous , qu'ils ont cru trouver plus de fureté dans vôtre clémence , que dans la force de leurs itrmes. Ils nont pas été fi fache':^d'ê- tre vaincus , qtuls ont eu de joye de ce que c'efl vous qui avez, été le vainqueur. De fuppUans qu'ils étoient i ils font devenus vos amis & vos familiers ; & ils ont eu plus de douleur de leurs
fautes pafféest que vous n* en ave:^ettderefT fentiment. Votre facilité à pardonner Us a fait repentir de n'être pas plutôt rentrez, dans leur devoir. Mais quel autre party auroient-ils pu prendre , voyant la rapidité de vos viàoires y a qui rien ne pouvoit refijter , que dt fe fou- mettre a vôtre Majefté à qui tout cedoit j àr que d'avoir recours a vôtre cUmence , plutôt que de hafarder des combats dont l'iffué étoit incertaine ? En ejfet vous avez, porté la vail" lance fh loin , que vous aviez, comme fxé Us évencmens de la guerre , ordinairement com- muns aux deux partis , & que Ut victoire , comme ayant perdu fes ailes , ne pouvoit plus paffer de vôtre party a un autre. Ce bonheur qui accompagnait vos armes , a été d'autre côté foutenu par vôtre vigilance -, par vos travaux infatigables , par vôtre patience à fupporter le froid & le chaud , & par la coutume de vous réduire aifément à la plus fimple nourriture > qui fe pouvoit trouver félon les lieux & les occa- fions; affidu dans la tranchée , n'interrompant point les fatigues du jour par le repos de la nuit, marchant à toutes heures par Us pluyes & les glaces , dormant peu , & reprenant quand il vous plaifoit , fans altérer vôtre fanté , tantôt fur un cheval , & tantôt fur la dure enveloppé d'un manteau , le fommeil que vous aviez, été obligé d'interrompre. Ainf par l'exemple ■> qui eH la plus flatteufe manière de commander , vous reteniez, dans une étroite difcipline , dans un tems ou la paix n'étoit pas trop affurée , Us foldats que Us autres ont bien de la peine a ré- gler par le refpeêl de l'autorité abfoluë. Ce bonheur vous rendait ft redoutable a vos enne- mis i qu'ils nofoient paraître devant vous , & que quoy qu'ils vous furp.iffijfent fouventpar le nombre de leurs Troupes , ils fe tenaient a cou- vert dans des Places fortes , & croyoient aufji glorieux pour eux de fe défendre , que pour vous de vaincre. Il ne faut donc pas s'étonner qu'après tant d'offenfes qu'ils avoient commifes contre vous , ils ayent embraffé avec tant d'af^ feétion , l'occafion que Dieu leur prefentoit de
faire
fAire leur paix ; vojfAnt d'un coté leur grâce djfûrce , en recourant a voire clémence , & noftnt efperer de l'autre un retour favorable de la viâotre , qui vous accompagnoit toujours. Mais fi la guerre vous rend fi terrible à vos en- nemis i le repos ne vous rend pas moins aima- ble a vos fujets ; parce que vous avez, encoura- gé tout le monde aux arts de la paix , par les immunités & les recompenfes. Cefi ce que témoignent hautement ces jomptueux & dura- bles édifices , quon a vu s'élever de tous cô:e'^ en fi peu de tems ; ces jlatuéi d'un ouvrage ad- mirable ^ ces peintures exqjiifes i ces riches ta- fijferies travaillées avec tant d'art ; qui feront autant de monumens a la poflerité de la gran- deur de vôtre aine , & du foin que vous ave':^ pris de la paix. Mais ce quon doit confiderer plus que tout cela , ceïi le retabliffement des belles lettres , dans les lieux d'où elles avaient été bannies par la fureur de la guerre. L'Uni- verfité a repris [on premier luflre fous votre protection ; & vous l'ave"^ même embi llie d'un rare ornement , en jr appe liant l'illufire Cafau- bon , l'une des deux plus grandes lumières qu'ait aujourdbuj/ la République des Lettres, a qui vous ave? confié a jufle titre la garde de vôtre Bibliothèque véritablement Royale. Par toutes ces chofes il parott que tous les lauriers que vous avez, cueillis , ne vous ont pas animé à porter plus loin vos conquêtes ^ tnais à cultiver la paix avec vos voifins , & a faire goûter agréable- ment le repos a vos fujiîs , fatigue? des lon- gues guerres qu'ils ont effuyées. Continue? ^ Sire y dans un dejfcin fi généreux , & en ren- dant aux loix leur jufte autorité , comme vous l'avez, cofnmencé , conferve":^ a vos peuples cette paix y que vous leur avez, aquife au prix de tant de travaux. Afluri'':^vous que l'ame d'un Etat ce font les loix ; w qu'il ne peut non plus fe fervir fans elles de fon fang , de fes nerfs , & de fes membres , que nôtre corps de fes organes, fins cet efprit qui l'anime. Les Magifirats par confequent & les 'Juges n'en [ont que les interprètes & les minifires , &
mas devons tous en porter le joug avec fourni f- fion , fi nous voulons être véritablement libres. C'a été dansl'efpcrance du retour de cette //- berté fous vôtre Règne , cr dans fes premiers avantages que fay déjà reffentis , depuis que nous l'avons recouvrée par vôtre moyen , que j'ay compofé l'Hifioire de nôtre tems , dont jô mets À prefent la première Partie en lumière. Si j'ay pris la hardteffe de la dédier à Vôtre Majefîé, je m'y fuis fenti obligé par des rai' fons qui regardent ou moy, ou l'Ouvrage même. Je ferais coupable d'une noire ingratitude, fi j' oubliais qu'ayant commencé a être avance dans les Charges , par le Roy vôtre predecejfeur de glorieufe mémoire, vôtre Majefié m'a encore élevé plus haut : & comme ma» employ m'obli" geoit d'être toujours dans le Camp & a la Cour^ & que même Vôtre Majefié m'a confié leîna- niement de plufietirs affaires importantes , j'a/ aquisdans leur négociation la cormoijfince de pliifieurs chofes neceffaires à l'Ouvrage que j'ay entreprit', & par la fréquentation des perfon- nés qui avaient vieilli à la Cour , j'ay eu le moyen d'examiner fur la règle de la vérité, ce qui fe trouvait y epandu touchant nos araires dans les écrits de quelques Auteurs inconnus. J'ay toujours cultivé ces connoiffances pendant que fay été a la fuite de Votre Majefié , & que j'ay été employé dans les affaires ; jufquk ce qu'enfin le devoir de ma Charge m'a attaché au Barreau, Au refie ce nesl pas depuis peu que fay l'honneur d'être connu de Votre Ma- jefié-^ car il y a vingt-deux ans que le feu Roy m' ayant envoyé vers vous en Guyenne, avec, quelques autres Députe? du Parlement , vous me ttmoignates une bienveillance toute particu- liere , qui me fit concevoir des lors l'ejpcrance^ que les fruits de mon efprit , s^il était capable un jour d'en produire , ne vous feraient pas defagreables. Mais il y a encore une autre raifon , qui m'oblige a vous dédier mon Ouvra' ge : c'est que mon entreprife étant également importante & délicate , // me faut un puiffant appuy contre la malvuàllance & la calomnie ',
&
^)Ay hefo'm frincipalement pour examiner U vérité des chofes paffées , de cette vive pénétra- tion avec laquelle yôtre M^jefié fait ordonner celles qu'il faut faire. C'e^ a ce jugement que j'ajf refolu de mefomnettre; fott qm vous rnau- torifiez. de mettre le refie en lumière , foit que vous trouviez, à-propos de fupprimer cette pre- mière Partie -, que je donne moins a prefent au public , que je ne vous la pre fente à examiner-, comme un ejjai de tout l'Ouvrage. Je déférerai comme a un oracle , à tout ce qu'il vous plaira d'en ordonner -y & je ne doute pas que ce qui aura eu vôtre approbation , n'ait auffi celle de tout le monde. Que s'il y en a qui ne goûtent pas ce que vous aurez, approuvé , ce feront ces perfonnes , qui ayant été élevées en un degré éminent par le caprice de U fortune j & n'ayant rien fait dans cette élévation qui foit digne de mémoire , prendront pour un auront qu'on rap- porte les chofes comme elles fe feront paffées. Mais je ferais tort a ma réputation > parla com- plaifance que je pourrais avoir pour leurs in- jufies defxrs j & ma confcience d'ailleurs ne me permet pas de paffer fous filence leurs défauts , qui ont pre f que toujours été fmwfies à la pa- trie, je ne puis mieux finir cette Préface que par des vœux. Grand Dieu auteur de tous biens , qui avec votre Fils unique & le St. Ef- prit êtes Dieu en trois perfonnes , mais un feul Dieu en bonté, en f'igeffc', en mifericorde, tn puijfance ; qui êtes toujours en toutes chofes, qui êtit":^ avant toutes chofes , qui ferez, tou- jours avec toutes chofes • qui conduife^^par vo- tre fageffe les Empires légitimes, fans lefquels ni les familles , ni les Etats , ni les peuples , ni le genre humain , ni la nature même , que vous ave? créée de rien , ne peuvent fubftfter ; je vous fupplie au nom de toute la Nation, qu'il vous plaife de nous conferver comme un bien propre & infeparable de nous , ce aue vous
ave^ donné à la Vrance , & même k toute U Chrétienté ^ que vous le mainteniez, par votre grâce, & que pour comble de vos bienfaits ^ vous y ajoutie? une perpétuelle durée. Al com- piliez, un fouhait trés-fwiple , & qui renferme tous les autres \ conferve'i^^le Roy & le Dauphin, puis que de leur confervation dépend notre paixt notre union, notre jâr été, tout noire bonheur, Injpire? au Roy de jalutaires confetls pour bien régir cet Empire , qu'il a fauve d'une ruine évidente -, pendant que le Dauphin croîtra com- me un arbre heureux & de bon augure , plante le long d'un fleuve agréable , afn qu'après une longue fuite d'années il puiffe fervtr d'ombre a notre pofierité, enla faifant jouir d'un loifir tranquille , pour cultiver les glorieux arts de la paix , & favorifer le progrès de la pieté & des belles lettres. Laijfe? régner l'un & l'autre long-tems fur les François , dans l'ordre le plus agréable aux gens de bien : de forte que fous leur Règne l'ancienne Religion , les anciennes mœurs , les coutumes de nos Ancêtres, les loix de l*Etat foient rétablies ; que les monfires des nouvelles jectes , que les Religions inventées de- puis peu , que toutes les chofes controuvées k loifxr pour faire illufion a l'écrit , foient abolies^ (^ quatnfi le fchifme & les divifions cejfant » la maifon de Dieu foit en paix , nos confciences en repos , & l'Etat dans une parfaite fureté. Enfin Grand Dieu je vous prie , & vous conju- re par cette grâce Divine , fans laquelle nous ne fommes ni ne pouvons rien , que tous ceux qui a prefent ou a l'avenir liront ce que j'ay défor- mait a dire , y trouvent la liberté , la vérité, la bonne foy d'un Hijtorien fincere ; & que mon di\cours demeure au(fi exemt de tout foup- çon de flatterie & d'envie, qutly a peu de raifons qui eujfent pu me contraindre a parler le langage de ces honteufes paffions.
HIS-
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HISTOIRE
D E
LEDIT DE NANTES:
C O N T E N A N T
les chofes les plus remarquables qui fe font paflees depuis fa publication, julques à
LEDIT DE REVOCATIONj
Avec ce qui a fuivi ce nouvel E D I T julques à prefent.
LIVRE PREMIER. Sommaire du I. Livre.
^^Ê%_ Ccafton 5 dejjein & plan de l'Ouvrage, Commencement ( C^® / ^^ ^^ Re formation , fin progrez & fis caufis. Son en- ^^^^ tree et} France. Comment elle e H: reçue à Me aux ^ & en Bearn. Supplice de Jean le Clerc ^ & de Loiiù Berquin. Etat de la Religion en Allemagne. Schifme d Angleterre. ^Pan- chant de François I. pour la Refirmation ; dont le Cardinal de Tournon le détourne. Accommodement propofe. Synodes de Bour- ges & de Taris. Commencement de la do^rine de Calvin. Année des Tlacards. Revotions & fupplices. Edits contre les Lu- thériens. Concile de Trente^ & fa translation. Mort du Roy. Henri II. perfecute les Reformez. Edit de Chateauhrianî. Le Roy protefie contre le Concile remis à Trente. T>acheffe de Va- lentinois cruelle aux Reformez. Crédit du Cierge. Affaires de Merindol & Cabrieres. Kouveaux fupplices qui aident au pro- Tome I. A gresi
HISTOIRE
grez de la Reformation. Eglifes formées à Taris & ailleurs. Vefprit de modération gagne quelques Juges. AJJemblée à Ta* ris. Caradiere de Catherine de Medtcis. Calom?iies contre les Reformez. Chant des Tfeaumes en public. Origine des fac- tions. Fermeté de dAndelot & fa difgrace. ConfeiUers au Tar- lement de Taris fu[peUs dans la doàrine. Tremier Synode Na- tional. Mort de Henri II. Etat de la Cour. Nature des in- trigues : comment la Religion y entre. Chambres ardentes. Su- perftitions envers les Images. Supplice du ConfeiUer du Bourg. Ecrits apologétiques des Reformez , qui irritent les Tui(]ances. Trojet contre la Tuijfance arbitraire. Entreprife d'Amboife. Cruauté z de la Cour. Origine du nom de Huguenot. Appa- rence de modération. Trifon du Trince de Condé. Mort de François IL faujjement imputée aux Reformez. Etats affem- blez j ou il femble qu'on les favorife. Naiffance du Triumvirat. Colloque de Toiffy. Etablijfement des Jefuïtes à Taris. In- confîances du Cardinal de Lorraine^ & du Roy de Navarre. Sédition à Taris contre les Reformez. MaJJacre de Vafft ^ après l'Edit de Janvier. Forces des Reformez. Courte faveur de l'Amiral. Tremiere guerre , entreprife par les ordres de la Rei- ne , puis defavoiiée. Ligue du Tape , du Roy d'Efpagne & des Guifes contre les Reformez. Cruautez de Monluc & de ^es Adrets: &des Catholiques en gênerai. MaJJacre à Sens. Etrangers en France. Bataille de 'Dreux. Siège d'Orléans. Mort du 'Duc de Guife : dont l'auteur charge l'Amiral. Taix arrêtée. Mariage du Cardinal de Châtillon i & fe s fuites. T>if- mes adjugées au Clergé. Reprife du Havre de Grâce fur les Anglois. Tourfuites contre l'Amiral. Fin du Concile de Tren- te. Révolution enBearn. Nouveaux fuj et s de défiances pour les Reformez. Voyage de la Cour , & confeil du Duc d'Albe. Trogrez des Eglifes. Reconciliation de l Amiral avec les Gui- fes. Entreprife de Meaux , & fes fuites. Taix faite devant Chartres , fans dejfein de l'obferver. Troifiéme guerre. Mort du Trince de Condé , & ded'Andelot. Batailles perdues. L'Ami- ral rétablit le party. Taix frauduleufe. Artifices incroyables de la Cour. Maffacre de la St. Barthelemi. Les Trinces chan- gent de Religion par force, hiconftance de Des Roziers. Siè- ges de là Rochelle & deSancerre. Fanions en France. Duc
d'Alençon
DE L'EDIT DE NANTES, Liv. I. j
^Alençon prote6teur des Reformez & des Politiques. Mort du Roy. Henri III. de retour continue la guerre. Retraite des ^jrinces. Taix aujf/itôt rompue que faite. La Ligue : fermera ■ du Roy 5 qui néanmoins fait la paix. Edit de ii^-j-j. Synodes. Confereyices de Nerac c^' de Fleix. Le Roy eliîde l'Edit fous l'apparence de le garder. Outrages faits par la Ligue au Roy : qui fait par force la guerre aux Reformez. Courage du Roy de Navarre. La Trifnoitille fe fait Reformé. Bataille de Coutras. Refaite des Reîtres. Mort du T rince de Condé. Edit d'union. Audace des Ligueurs. Etats de Blois. Mort du ^uc de Guife , & du Cardinal fon frère. Le T>uc de Mayenne échapé relevé la Ligue. Extrémité des affaires du Roy ^ qui fait trêve avec les Reformez. Sesaffaires fe rétabli fferît. Il ajjiege T arts . Ileft afi affiné par un Moine.
A Reformation qui changea la face de la Re- ligion dans toute l'Europe au commence- ment du fiécle pafîe , trouva de grandes op- pofitions par tout où elle fiit prêchée. La Cour de Rome fit tous ïç^s efforts pour étein- dre dès fa nailîànce une lumière il fatale à ia grandeur -, Se mit en mouvement tous les ref^ Ibrts de fa Politique , pour maintenir les er- reurs & les abus dont elle tiroit tant de profit , contre ces nouveaux ennemis , qui reveloient fi clairement fon ambition & fes artifices. Elle fouleva contre eux les ditFerens corps de fon Clergé , dont ils attaquoient vivement la corruption & l'ignorance. Elle n'épargna point fes Bulles , ni (es anathêmes , pour les rendre odieux à tout le monde. Elle arma contre eux les Puiflances temporelles , par tout où elle eut afiez de crédit, pour faire goûter (es maximes: & d'autre côté les Princes , qui avoient leurs vues fecrettes , pour raccroillemeiit de leur autorité , embrafl^rent avec avidité cette oc- cali on de fe latisfaire . La paillon du pouvoir arbitraire commençoit à entêter les Souverains , qui croy oient leur puiiîànce trop bor- née par de certains reiles de liberté 5 que les Loix confervoient aux Peuples. C'eil pourquoy ils fc fervirent du prétexte de la Religion , pour engager une partie de leurs fujets à ruiner l'autre: étant per- lùadez qu'après avoir opprimé la plus éclairée & la plus laine , ils
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n'auroient pas de peine à venir à bout du refte. La Cour de Ro- me eut peur à Ton tour , quand elle eut pénétré dans les intentions des Princes , & comme elle vouloir garder le pouvoir ablblu pour elle , jamais elle n'allifla iincerement ceux dont la puilîance luy failbit ombrage. Cependant il s'en fallut peu , que cette occafion ne mit toute l'Allemagne fous le joug de Charles V. Mais enfin fçs affaires eurent un luccez malheureux -, & après la défaite des Pro- teftans , une révolution imprévue reduifit en fumée les profperitez de toute fa vie. Philippe IL fon fils fut encore moins heureux j & par fès attentats contre les libertez des dix-fept Provinces , il donna le premier branle à la décadence de faMaiibn. La Fran- ce a mieux reùili dans fon defiein , quoy qu'elle fe fbit viië plus d'u- ne fois fur le bord de fa ruine : & la Religon a été fi utile à fes Roisj pour étendre leur autorité au delà des bornes , qu'ils n'en reconnoifïènt plus aujourdhuy d'autre mefiare que leur volonté.
Toutes les oppofitions que ces divers intérêts formèrent au pro- grez de la Reformation 5 n'empêchèrent pas néanmoins qu'elle ne fe répandît par tout en fort peu d'années. Elle étoit trop necef- faire & trop jufte , pour ne trouver pas des cœurs difpofèz à l'em- brafîèr -, &ciiy avoir trop longtems que les bonnes âmes gemiffoient ibus le joug des fuperftitions &c de la tyrannie de Rome , pour ne recevoir pas à bras ouverts ceux qui prêchoient avec tant de force contre fes corruptions, tant à l'égard de la doctrine & du culte, qu'à l'égard de la difciplineôc des mœurs. Mais elle ne trouva pas en tous Heux les mêmes contradictions , ou les mêmes facihtez. Il y eut des Etats où on la reçut prefque fans refiftance : d'autres où elle trouva des obftacl es qu'elle ne put vaincre : d'autres enfin , où les difiîcultez qui fc rencontrèrent ne purent être levées , qu'a- près un nombre infini de traverfes & de peines. La France fiât un des lieux où on luy forma les plus longues oppofitions. Elle étoit afi^ermie en beaucoup de lieux de l'Europe , avant qu'on fût encore en France quelle feroit fa dellinée -, & fi on excepte les dix ou douze dernières années du règne de Henri I V. on peut dire- avec venté qu'elle n'y a jamais été paifible. Depuis le premier éclat qu'elle fit dans ce grand Royaume , jufques à prefent , elle y a toujours été perfëcutée 5 & s'il a femblé quelquefois qu'on luy donnoit quelque relâche , & qu'on renonçoit aux moyens vio- lens de l'opprimer , c'étoit feulement pour y travailler par d'au7
trcs
DE L*EDIT DE NANTES, Liv. I. ^
très plus cachez , & par confequent plus dangereux Se plus effica- ces. On y a mis en ufage contre elle iucceilivement les fupplices, les guerres , les traitez frauduleux , les maflàcres , les artifices d'u- ne fine & profonde Politique : &:lors qu'on a cru trouver un tems favorable , on n'a pas eu honte de reprendre à diverfes fois pour la ruiner les voyes les plus odieufes , & les plus décriées de la mau- vaiie foy & de la chicane. De nos jours même on y a pourfuivi en- core les reftcs des Reformez par les fupplices&par les mafïïicres, parce qu'on avoit éprouvé qu'ils étoient trop foiblcs & trop defunis pour fe défendre. On ne fàuroit preique s'imaginer ce qui s'cft pdïfé fur ce fujet, principalement depuis une trentaine d'années. Jamais la force majeure ni l'infideUté n'avoient produit des effets, ou fi reprochables à leurs auteurs , ou fi triiles & fi funeftes pour des millions de perfbnnes innocentes , qui ne demandoient que la liberté de leurs confciences -, & qui ne donnant par leur conduite nul prétexte de les craindre ou de les haïr , ne dévoient s'atten- dre à rien moins, qu'aux cruautez &c aux injudices qu'on leur a faites.
J'ay entrepris d'informer la pofleritédece qu'on a fait en Fran- occa/^o^t, ce, pour conduire ce deflein au but qu'on s'étoit propofé. Mais*^!^""^ mon projet feroittrop au deiÏÏis de mes forces, fi je me chargeois roLn». de l'hifloire de tout ce qui eft arrivé dans ce Royaume iur ce fujet , £^* depuis la première prédication de la Reformation jufques à nos jours. Cet ouvrage feroit afièz grand , pour mériter d'être parta- gé entre plufieurs perfonnes. C'ell pourquoy j'ay confideré que le tems qui s'efi: écoulé , depuis que ce nouveau jour a commencé à éclairer le monde jufqu'à prefent , fe divife naturellement en deux périodes , à peu prés égaux dans leur durée : l'un qui coudent ce qui ell arrivé dans l'efpace d'environ quatrevingt ans , jufqu'aux années de l'Edit de Nantes , où les Eglifes obtinrent un peu de re- pos: l'autre comprenant ce qui ell arrivé depuis cet Edit célèbre , jufqu'à nôtre tems. J'ay cru que je pouvois laifier le premier pé- riode fans m'y étendre fort au longj foit parce quelesHilloires de ce tems~là font plemes des évenemens qui regardent la Reli- gion, dont les affaires étoient fi mêlées alors aux affaires d'Etat , qu'on ne peut ieparer les unes d'avec les autres : foit parce que l'a- brégé que j'en donnerai peut fuffire à informer le Ledeur, de ce . qu'il doit fâvoir de:> atîairci de ce cems-là , pour entendi-e celles qui
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ont fuivi. Mais je m'attacherai aux évenemens du fécond pério- de , parce que les affaires de la Religion qui apartiennent à cet ef- pace de tems font moins connues , & que nous n'avons point d'Hiftoire Hdéle où elles foient recueillies.
Le fond de mon iiijet fera donc proprement l'Edit de Nantes , dont j'entreprens de raporter toutes les fuites &: les dépendances , telles que j'ay pu les aprendre par les Mémoires publics & par- ticuliers 5 qu'il m'a été poffible de recouvrer : m'étant fcrupuleufe- ment impofé de n'écrire rien dont je n'euflè de bons garans. Mais ^ afin que ceux qui n'en font pas inftruits d'ailleurs , aprcnnent icy au moins en gros ce qui a précédé cet Edit , dont on ne peut con- noîrre fans cela parfaitement la juftice & l'utilité , je raporterai fom- mairement ce qui s'étoit pafle en France touchant la Religion , juf qu'à la mort de Henri I II : & parce que Henri I V. qui luy lùc- ceda 5 fut l'auteur de l'Edit dont je veux parler principalement , & qu'il le donna aux Reformez fès flijets , comme une recompenle de leur fidélité & de leurs fervices , je commencerai à traiter ample- ment des chofes qui touchent la Reformation , depuis le tems que la Couronne échût à ce Prince. On verra mieux après cela fi l'E- dit fut une faveur extorquée , ou un pur effet de reconnoiflance & de juftice : & fi les contraventions continuelles des Succefi^urs de ce grand Roy à cet ouvrage de fa fagefïè , Se la Revocation qu'on en a faite depuis peu d'années , au grand étonnement de toute l'Europe , feront propres à faire bénir par la pofterité la mémoire de leurs auteurs. 15^7- Depuis que Luther eut commencé à prêcher contre lePapifine en Allemagne , il fe pafla peu de tems avant que fa doctrine le com- if^o. niuniquât à la France: & quoy que les Facultez de Théologie, commen- ^ ^elle de Sorbonne comme les autres , l'euflènt condamnée , elle cernent ne laifÏÏi pas de trouver par tout des difciples , qui la reçurent ûrma-' ^^'^^ avidité. Les belles lettres , que la faveur de François I. fai- <m?, /o» foitrenaitre, éclairèrent bien des gens, &leur firent honte d'un ^■'^^^r g^^î"^^ nombre d'erreurs , qui s'étoient introduites & affermies cm/es. pendant les fiécles de l'ignorance. La bienveillance de ce Prince attiroit dans ks Etats tout ce qu'il y avoit de peribnnes doctes dans les autres pays de l'Europe , parce que les penfions & les privilèges qu'il leur accordoit, les mettoient à couvert du mépris &: de la milere. Il y en avoit parmi ceux-là qui venoient d'Allemagne,
où
DE LEDIT DE NANTES, Liv. I. 7
où ils avoient pris quelque teinture de h dodlrine qu'on appelloit 1520. nouvelle, Ibitparles prédications & les livres de Luther, ibit par la lecture de rÈcriture Sainte , qu'on avoit miie entre les mains de tout le monde. Ceux-là firent part de leurs lumières à d'autres : son en. & plufieurs prirent goût à ces opinions qu'on difoit nouvelles , ^^^^^^^ parce qu'ils y étoient préparez par le mépris qu'ils avoient pour leurs Conduileurs. L'ignorance des Falleurs ordinaires étoit 11 grande , que plufieurs d'cntr'eux ne favoient que Hre, Prefque tous menoient une vie fcandaleufc : &z leur corruption étoit fi o-ene- ralcj qu'on pouvoit appeller gens de bien , en compara ifon des au- tres , ceux qui n'avoient pomt d'autre vice qu'une avarice infatia- ble , &z une ambition demeilirée.
Dans le Clergé même , ceux qui avoient quelque fentiment de pudeur & de pieté eurent honte des abus dont l'Eglife Romaine étoit accufée : &c quoy que la plupart aimafl!ènt mieux garder leurs vices & leurs erreurs , que de hafàrder en fe reformant leur gran- deur & leurs revenus , ou d'afTujettir leur vie à une Morale plus fe- vere , il ne laifîa pas d'y avoir des Evêques même , qui flirent fra- pcz de cette lumière. Brilîbnnet Evêque de Meaux fut de ce 102. nombre. Il prit quelque teinture de la Reformation à Paris, dans les entretiens de trois ou quatre perfbnnes favantes , qu'il écoutoit avec plaifir. Il les mena même dans Ton Diocefe , &: leur comment permit d'y répandre leurs fentimens. Il laifîa lire l'Ecriture Sainte *^^ ''\ à Tes peuples i il ne s'oppofa point aux conférences & aux afTem- Î2ei«^. bléesj illuy échapoit même quelquefois de prêcher la même do- ctrine que ces particuliers debitoient : de forte qu'en peu de tems on vit à Meaux plus de quatre cens perfonnes , imbues des opinions que Luther avoit avancées. Mais les reproches des autres Evêques , les menaces d'un procez d'herefie , la crainte de perdre un Evêché , û commode à ceux qui aiment la Cour , à caulè du voifinage de Paris , ébranlèrent Brifibnnet , & le ramenèrent à la profelTion de iès premières erreurs. Ses Doéleurs après cela , n'étant plus en fii- reté dans fon Diocefe , s'écartèrent chacun de fon côté. Le Fevre , l'un d'entr'eux , trouva un afile à la Cour de Navarre , où il fut Et e>* bien reçu de la Reine , qui étoit fœur de François I. Se aufiî favora- ^''"''^ ble aux gens de lettres que le Roy fon frère. Rouffel, un de fes compagnons, après avoir fait un voyage en Allemac^ne revint en Bearn, où la même PrmceiTe luy fit un accueil femblable : &:tous
deux
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1525. deux luy infpirerent leurs fentimens, qu'elle conferva jufqu'à h mort , quoy que pendant quelques années on crût qu'elle s'en étoit défaite.
Ces deux hommes ne perdirent pas leurs tems dans ces Provin- ces éloignées -, & ils préparèrent les efprits à recevoir plus aife- ment la dodrine de Calvin 5 quand elle y fut prêchée dix ou douze ans après. Leur retraite n'empêcha pas l'Eglife , qu'ils avoient à peu près formée à Meaux , de fe conferver & de s'accroître. C'eft pour- quoy ce fut le premier lieu , où la Juftice prit connoiflance de ces Supplice prétendues nou veautez. Un nommé J ean le Clerc , qui avoit une ' icuîc R^ediocre intelligence de l'Ecriture Samte , feul hvre qu'il avoit étudié , fer^^oit de Condu6teur à ce peuple converti. On le punit corporellement pour avoir appelle le Pape AntecPjriH j & ayant été banni de Meaux pour ce fu jet , il fut peu de tems après bnUé à ^J^^ Mets 5 où fon zèle luy lit brifer quelque image. Six ans après Louis Ber<iuin. Berquiu fut condaniné à Paris au même fupplice , pour y avoir 1525». enfeignéla do£trine de Luther.
£^^, ^i^ Le cours de la Reformation étoit plus rapide en Allemagne , où /«'R-e/r- elle fut embraflce par plufieurs Princes ou Communautez , qui dès ^^emu l'^i^r^ée 1530. prefenterent leur Confellion de Foy à l'Empereur , & gne. qui peu après fe trouvèrent allez forts pour iè liguera Smalcalde, 1528. contre ceux qui les vouloient opprimer. Le Ichifine que Hen- schifmt ri V 1 1 L fit en Angleterre ne fut qu'une ouverture , qui donna ît'jTf'^^^" ^^^" ^ ^^ P^^^ grand ouvrage fous les règnes fuivans. Mais ce Prince qui avoit fait l'honneur à Luther d'écrire contre luy , & à qui ce Docteur avoit repondu alîèz durement , ne voulut jamais fouffrir que les fentimens de fon adverlàire s'établiflent dans fon Royaume. Néanmoins il voulut obliger François L à rompre comme luy avec le Pape. Le Roy de France n'y voulut point en- Tcin- tendre, & luy repondit qu'il étoit ^;^//y^/^'^«x /z///i?/r. Mais il ^Trmtii ^^^ ^^^ P^^ toujours fi fcrme , & peu s'en fallut qu'il ne cédât aux j.^poTr' empreflèmens de la Reine de Navarre. Elle luy avoit donné quel- '^^.^/""-quepanchantpourla dodrine qu'elle avoit goûtée elle-mxême : & dont elle avoit auili inlpiré quelque chofe au Roy fon mari , qu'elle avoit mené fecrercment aux prêches de {^s Douleurs. La Duchefîè d'Etampes , qui polTedoit le cœur de François L pouvoit avoir contribué à luy faire prendre ce panchant j puis qu'elle étoit imbue & perfuadée àes opinions Luthériennes , qu'elle favorifoit ouver- tement
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tcment ceux qui avoient les mêmes pcnfées ; & qu'après h mort du Roy elle vécut fort retirée , dans tous les exercices de la Religion Proteftante, protégeant de tout fon pouvoir ceux qui en failbient profefîîon.
Il eft certain au moins que le Roy écrivit à Melanchton, le plus 1534. renommé des difciples de Luther, & celuy qu'on eflimoit le plus I5'3f. modéré. Il l'invitoit à venir en France , & luy temoignoit qu'il prendroit plaifir à l'entendre. Mais pendant les délais de Melanch- ton , le Cardinal de Tournon rompit le coup -, & changea fi ab- Dont le folumcnt l'efprit du Roy, qui luyavoitlailîe prendre fur luy un cardwai fort aicendant, qu'il n'écouta plus ni Ibeur ni Maîtrefîe, & qu'il nlnhAe'- ' ne fît jamais la moindre faveur à ceux qu'on accufoitd'herefie. Il tourne. n'y a point de doute que le Cardinal n'eût reçu des ordres de Rome fur ce fujet. Le Roy s'étoit découvert luy-même , dans les 1535. inftrudions qu'il avoit données au Cardinal du Bellai qu'il y en- voyoit. Il le chargeoit de rendre conte au Pape de la lettre écri- re à Melanchton , & de la reponfe de ce Dodteur : & il luy or- donnoit principalement de faire confentir le Pape à une efpéce d'ac- commodement, qu'il avoit dcfTein de ménager en Allemagne par une amballàde cxprefîe. Le plus important article de cet accom- Accom- modcment devoit être , qu'on reconnût le Pape pour Chef de l'E- ""'^'' gliiè univerfèlle : & du refle le Roy vouloir prendre des Protef^ ^j^! tans le plus qu'il pourroit , & le plus avant qu'il pourroit. C'efl- à-dire qu'il confentiroit à contenter les Protellans en beaucoup de choies qui rcgardoient la Foy , la Religion , les cérémonies , les inftitutions O' do^rines , au moins en attendant le Concile. On étoit même déjà prefque convenu de ce qu'on leur relâcheroit, qui coniidoit en fept articles, en quoy on reformeroit la Mefîè, fans rien changer dans les cérémonies de la célébration. Premièrement on ne déçoit jamais célébrer fans communion publique. 1 1. on devoit retrancher révélation; III. & aboHr l'adoration. IV. on rcndroit le Calice à tous les communians. V. on ne feroit nulle commémoration des Saints ni des Saintes. VI. on fè ferviroit de pain commun , que le Prêtre romproit pour le diflribuër au peu- ple: VII. & le mariage feroit permis aux Prêtres. Le vulgaire ap- pelle ic la MefTe ainfi reformée, la MeJJ'e à fept points. Un ac- commodement de cette nature ne pouvoir être goûté à Rome, ou on ièntoit bien que l'autorité du Siège ne pouvoit êtrefuffifamment Tome I. B apuyée
10 HISTOIRE
apiiyée par le titre qu'on vouloit conferver au Pape , &: qu^elle avoit befoin pour Ce maintenir , de toutes les erreurs qui luy avoientaidé à s'accroître oc à s'affermir. C'eft pourquoy la Cour de Rome employa toute fon adreflè , pour détourner le Roy de ces dangereufes penfées.
Le Cardinal de Tournon avoit déjà fignalé fon zélé contre la I 5" 2 8. Reformation, dans un Synode afîemblé à Bourges, dont il étoit fe^Bour ^J'^^'^cvêque i & il y avoit condamné la doctrine de Luther. Le ges, & Cardinal du Prat fît la même chofe dans le même tems, par un Je Paris. Syuodc de la Province de Sens qu'il fit tenir à Paris : peut-être y étoit il porté par la crainte que la Reformation ne ruinât le Con- cordat, qui étoit (on ouvrage-, & par lequel il avoit achevé de corrompre en France la Difcipline Ecclefiaflique. Mais tout ce- la n'empêchoit point le nombre des Reformez de croître : prin- 15-34,. cipalement depuis que Jean Calvin eut commencé à prêcher, & à Corn- écrire flir la Religion. Il y avoit déjà plu-lîeurs années qu'il avoit ZZl'Je P^'^^ ^^^ dégoût pour la dodlrine Romaine : & il avoit déjà cou- ladoari- ru dc grauds rifques (lir ce fujet à Paris > où il avoit des difciples. cl/v/«. ^^ s'étoit fait connoître dans le Berri , pendant qu'il étudioit en- core en Droit dans l'Univerfité de Bourges j & un Seigneur du voif inage luy avoit permis de faire quelques prédications fecretes dans fa paroifîe. Il avoit conféré depuis de la Religion à Ne- rac, avec Roufîèl &leFevre, qui fe rencontrèrent avec luy à peu près dans les mêmes principes. Mais il repandit fur tout fa doàri- ne dans la Saintonge & dans le Poitou , & on tient que ce fîït dans cette dernière Province 5 qu'il donna la première forme d'Eglife aux afîemblées de ceux qui embrafîerent fes fèntimens La perfecu- rion l'ayant contraint de fe retirer du Royaume, il fit quelque fe- jour à Baie, où il publia fon inftitution, dédiée à François I. Mais ce Prince, prévenu contre cette forte d'ouvrages , ne la vou- lut jamais lire. De là Calvin pafîà en Italie , où il fut bien reçu de la Duchefîe de Ferrare, fille du Roy Louis XII. & qui té- moignoit une grande affeftion à ceux qui travailloient à reformer les abus. Au retour il fut retenu à Genève , qui avoit fecoùé le joug de fon Evêque^ & après y avoir efîiiyé quelques oppofî- tions & quelques combats, il y établit fa demeure pour le refle de fà vie. De là il rempiifîbit l'Europe de fes écrits , qui étoient lus avec avidité à caufè de leur éloquence, &de leur matière.
Il
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Il fèmbloit alors que François I. qui avoitunefi grande incli- nation à raccommodement, diflimuleroit les progrés de la Re- formation dans Ton Royaume , principalement à caufe des liaiibns qu'il avoit avec les Proteflans d'Allemagne , qui étoicnt toujours ou en guerre , ou en défiance avec l'Empereur. Mais il arriva le contraire : & les Placards qu'on afficha par tout Paris , & même à la j^ 2±. Cour fur la fin de cette année , qui pailoient des myfteres de laRe- Année ligion Romaine en termes fort injurieux , èc du Cierge d'une f" J^**" manière très-dure, mirent le Roy dans une extrême colère. Pour ex- pier ces blafphémes prétendus , il fit faire une proceflion folennelle 1 5-2 5*. ' à la prière du Clergé, où il affiila luy-même avec lès enfans & Devo. toute fà Cour : &c cette pompe fut terminée par le fuppiice de ^"'"^^ quelques milerables qu on ut brûler. 11 donna en même tems un Edit Edit fort fevere contre les Luthériens -, où il afilijettiiîbit ceux '^°"'^^ ^" qui les receloient aux mêmes peines qu'eux , & promettoit aux rilns! dénonciateurs le quart des confilcations. Les AUemans s'enof- fenferent: mais quelques Luthériens de leur nation, qui rap- portèrent en leur pais qu'on les avoit bien traitez en France , dillî- perent leurs refîèntimens & leurs craintes. Néanmoins le Roy donna encore à cinq ans de là un nouvel Edit,qui excitoit tout ordre j ^a^, de gens contre les Luthériens de France : & l'Empereur faifant de nouveau la guerre à ceux d'Allemagne, le Roy leur donna peu de fecours , parce que le Cardinal de Tournon luy remplifîbit l'eiprit de fcrupules , touchant l'alliance des Hérétiques : & mê- me il eut tant de pouvoir fur ce Prince , qu'il luy perfuada de re- nouveller les fiipplices par toute la France, afin de ne paroitrc pas moins religieux , & moins ennemi de ces prétendues herefies que l'Empereur, qui avoit pris la voye des armes pour les dé- truire.
Le Pape ne pouvant plus fe défendre contre les inftances de l'Empereur , & les defirs de toute l'Europe , après avoir été fbl- licité longtems d'ailèmbler un Concile , & avoir éludé longtems les pourfuites des Princes par divers artifices , s'étoit enfin refolu de Condie le mettre à Trente , & avoit publié la Bulle de l'indiftion dès f^^ ^"*" l'année i5'42. mais l'ouverture ne s'en fit que trois ans après , 15-45'. à caufe des difficultez qui renaiflbient tous les jours. Le Roy voulut aider au fuccés de cette aficmblée j il fit venir à Melun plufieurs Doâ:eurs illuftres, pour y conférer enfemble , &ypré- 1544.
B 2 pa-
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parer les choies qu'il feroit à-propos de reprefenter au Concile Mais il y alla peu de Prélats j l'un defquels, qui étoit Evéquedc Lavaur, y parut comme Ambalîadeur. Il s'y fit remarquer prin- cipalement par laréponfe qu'il fit à unpartifan de la Cour de Ro- me 5 qui avoit voulu tourner en raillerie les remontrances d'un Douleur François 5 fiir les abus qui fe commettent dans les matières bcneficiales. Ce Courtifan faiiant allufion au mot Latin , quifig- nifie également un François & un Coq , avoit dit à un de fes voifins pendant la harangue de ce Dodeur, c'eji un Coq qtù chante. L*Evêque gardant la même allufion, & l'appliquant à l'hifloire de S. Pierre, dont le Pape fe dit fiiccefieur, luy répon- 1547. dit fiir le champ, ^ieu viietlle qne par ce chant du Coq T terre É^ [(i foit excité à la repentance & aux larmes. Quelque tems après , iZhn. la translation du Concile à Boulogne, & la mort du Roy change- Mortdu rent l'état des affaires, & firent prendre de nouvelles mefiires à ''^' la plupart des Puilîances.
Mais la condition des Proteftans n'en fiit pas meilleure en
15-48. France. Le nouveau Roy Henri IL fut encore plus rigoureux
Henri II. quc fou pcrc 3 pouflepar le Duc d'Aumale, qui fut en fuite Duc
\7sRe'^' de Guife , & en faveur de qui la terre d'Aumale fut érigée en
formez. Duché Pairric. Il fit donc faire à Paris une procefllon pareille
à celle de François I. & la termina comme luy par la mort de
quelques malheureux condamnez au feu. D'ailleurs quoy qu'il ciit
été d'abord en bonne intelligence avec Paul III. jufqu'à fe decla-
1545?. rer pour la translation du Concile, & à faire comparoître iés
Ambafladeurs à Boulogne avec de bonnes inftruftions , il fe
1^5-1. brouilla bientôt avec Rome, après l'exaltation de Jules II I. ce
qui redoubla encore la perfècution contre les Reformez^ & fit don-
zditde ner contre eux un fevere Edit à Châteaubriant , où il étoit même
^^7- défendu de folliciter pour ceux qu'on accufoit d'herefie. On a
iritint. remarqué depuis ce tems-là, que cette politique a fouvent été
fuivie en France , de perfecuter les Reformez quand on avoit
des démêlez avec le Pape : & que jamais il n'y a eu pour eux de
Le Rcy plus mauvais tems à pafi^er , que celuy àçs brouilleries entre la
frotefte Cour dc Francc & celle de Rome. Elles furent grandes alors >
c7ndh & elles produifirent la proteftation que le Roy fit faire parl'Ab-
remiik \y^ ^c Bellofaiic contre le Concile, que le Pape avoir remis à
Trente rT->
1 rente
La
DE L*EDIT DE NANTES, Liv. I. i^
La Duchefle de Valentinois , Maîtrelîè du Roy , l'aigrifloit nuchif- auiîî contre les Reformez, foit pouç faire dépit à la Duchefle^'^^^ ^''*- d'Eftampes leur protedrice , qu'elle haïObit mortellement : fbit !rilZT par intérêt, pour profiter des biens des condamnez , dont elle fè -^''^R'- faifoit donner les confifcations. Principalement après TEdit de^"'^'"^*' Chateaubriand, on Taccuia de faire Ion profit des rigourcufcs pourfuites qu'on faifoit contre les Reformez: & on tenoit même qu'elle avoit des émiflaires , par qui elle faifoit dénoncer ceux qui avoient afîez de bien pour exciter fa convoitiic. Le Clergé de fon côté prenoit plaifir à voir mettre en cendres tant d'innocens pour fcs intérêts. Mais il avoit d'autre part beaucoup d'indul- gence pour luy-mêmc : & pour ôter au monde l'elperance de la correction des Ecclefiafliques , il obtint au Confeil du Roy la credu cafîàtion d'un arrêt du Parlement de Touloufe, qui ne tendoit'*'"^^"'- qu'à reprimer le libertinage & la débauche des Prêtres. Le Par- '^'^' lement fut déchiré par de fanglantes fatyres, que le Clergé pu- blia fur ce fujet -, & l'un des principaux membres de cette Cour ayant écrit une apologie pour ce veuerable Corps, où les vices des Ecclefiafliques étoient repris trop à découvert, ils eurent en- core aflez de crédit pour la faire cenfurer.
Cela n'empêcha pas qu'on ne fit une efpece de juftice des i<^o. cniautcz que d'Oppede, exécuteur d'un arrêt du Parlement de Provence, avoit exercées quelques années auparavant, contre ifxf. certains refies de Vaudois habitansde Merindol& de Cabrieres. ■4f'">^^ On n'avoit rien dit de cette affaire pendant la vie de François L '/j„^5"^ parce qu'on fbupçonnoit le Cardinal de Tournon , qui pouvoit cabrie- alors beaucoup à la Cour , d'avoir été le confeiller ou le com- ''*^* plice de cette barbare a£tion. Mais quand le gouvernement fut paflë en d'autres mains , ce Cardinal fut éloigné des affaires : & Je Connétable , qui ne luy vouloit pas de bien , fut Ibupçonné à fon tour d'avoir excité les reftes de ces malheureux à deman- der juflice, afin d'embarraiier le Cardinal dans le fuccés de leurs plaintes. On eut peine à convenir déjuges pour cette affaire, iffo. Le Grand Confèil en prit connoifîance le premier : enfuite le procès fut évoqué au Roy, enfin on le renvoya au Parlement de Paris , où il fut plaidé pendant cinquante audiences -, mais tout ce grand bruit fut fùivi de peu d'effet. Les principaux coupables échapérent. L'Avocat du Roy au Parlement de Provence fut le
B 3 , feul
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feul à qui il en coûta la vie. Le Comte de Grignan n'eut que la peur de perdre Tes biens , que la faveur du Duc de Guife luy conferva. D'Oppede ftit abfous, parce qu'il montra fès ordres, &c que le Duc le fervit de tout fon crédit Les Proteftans ne ti- rèrent point d'autre vangeance de fes cruautez, que celle de fa- voir qu'il mourut d'une mort horrible , & de dire hautement qu'il l'avoit foufferte par un jufie jugement de Dieu. Now Les fupplices ne faifoient point diminuer le nombre des Refor-
leaux j^£2 5 la conllancc de ceux qu'on faiibit brûler failant même plus alfli!^' d'imprelîion fur les efprits , que les prédications & les livres. Mais dent au d'aillcurs le Roy étoit inexorable : & quoy que le fpectacle de ^JefaL- ceux qu'il avoit fait brûler après la procefÏÏon dont j'ay parlé, & leurs forma- ci'is horriblcs dans les tourmens du flipplice , euilënt tellement frap- "^"' pé fon imagination , qu'il luy en demeura toute la vie ^e fâcheux rejjbuvemrs , il ne rclâchoit rien des rigueurs. On brûla encore I f f . quelques gens venus de Berne en France , où ils prêchoient la doc- ^ trine de leur païs. On remarqua entre les autres Louis de Mar- fac 5 qui avoit porté les armes toute fa vie , & à qui on ne mit point la corde au cou comme aux autres , par refpe^l pour cette noble profellion. Il fe plaignit de cette différence qu'on avoit faite entre luv&ies frères-, comme 11 en retranchant quelque chofède l'infamie de fon fupplice, on avoit voulu diminuer la gloire de fà confiance.
On vit cette année mis en ufage la première fois le bâillon , inventé afin d'empêcher les Reformez qu'on faifoit mourir de parler au peuple,- ou déchanter desPfeaumes pour leur confola- tion, quand on les conduifoit au fuppHce. On dit que l'Aubefpine, qui en étoit l'inventeur , Rit quelques années après frapé d'une mala- die pediculaire, qui le mit dans un fi grand defelpoir , qu'il voulut fe laifTer mourir de faim. Cette furieufe refolution obligea ceux qui étoient auprès de luy à le bâillonner, pour luy faire prendre de la nourriture par force. De forte qu'il augmenta le nombre de ceux qu'on a Vû fouffi'ir eux-mêmes le fuppUce, dont ils ont été les in- venteurs. ^.gUfes Au milieu de ces exécutions les Eglifes s'affermifToient ; & il y en formées à ^yq\^ déjà quclqucs-uncs qui avoient une difcipline formée, &des aUieurT Pafteurs affedez. A Paris même où les feux ne s'éteignoient point , 1 55 5. & fous les yeux du Roy , il y en avoit une qui avoit un Pafteur *' pro-
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propre. Les diverlës jurisdi£tions du Royaume s'accufoient re ciproquement , de ne tenir pas la main afTez rigoureufement à l'exé- cution des ordonnances. C'efI: pourquoy on attribuoit la con- noillànce du crime d'herefie quelquefois aux juges Royaux , quelquefois aux juges Ecclefiailiques j & quelquefois on parta- geoit la jurisdicVion entre les deux Tribunaux : en forte que depuis que cette forte de procès avoit commencé à s'introduire, on avoir donné cinq ou fix Editsfur la compétence des juges, quife revoquoient alternativement: & dans les règnes fuivans même on n'eut rien de bien arrêté fur cette matière. Le Cardinal de Lor- raine lit cette année ôter aux Parlemens malgré leurs remon- trances , pour faire plaifirau Pape, le pouvoir d'informer des herefies, qui fut attribué aux Evêques, &onne laiiîa aux juges Royaux que la punition des coupables. Selon l'intérêt du Cler- gé le Cardinal avoit raifon. 11 commençoit à fe gliffer dans les Parlemens des fentimens modérez. On y voyoit quelquefois des gens, qui ne convenoient pas de la juftice des rigueurs. Il iff^. y eut des juges qui foutinrent à Bordeaux , qu'il étoit inoùi qu'on y^7?"''> eût jamais pratiqué tant de cruautez , qu'on en avoit exercé depuis \ati0n quarante ans y qu'on ne devoit pas condamner à la mort pour de fim- S'^g^^ pies erreurs, au moins avant que d'avoir travaillé à initruire & àj,^^^^''" corriger le coupable j que le Concile étant encore fur pied , puis qu'il n'étoit que fufpendu, &: devant juger de la choie au fond , il falloit attendre ks decifions , avant que de condamner les pré- venus à des peines fi extraordinaires. Le party de ces modérez fe trouva fi fort, qu'il y eut partage entre les juges. Mais le zélé de la Religion l'emporta fur l'ordre de la juftice , & au lieu qu'on fuit communément le party le plus doux en matière criminelle , quand les avis font partagez , on renvoya l'aflàire à la Grand Chambre, où le partage tîit vuidéj & l'avis le plus fevere fut préféré au plus équitable.
L'embarras où la Cour fe trouva parla perte de la bataille de S. I5'5'7'' Quentin, fit efpcrer aux Reformez qu'on leur donneroic un peu de relâche. C'elt pourquoy ils firent des allemblées avec moins de précaution qu'auparavant : & entre les autres ils en firent une à Paris dans la rue S. Jaques, fi nombreufe qu'elle ne put être ca- ^jlff»- chée. Le peuple, qui les vit fortir de îamaifon où ils s'étoient p^li^,, affemblez , le jetta fur eux 3 la juilice y vint pour empêcher le def^
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i6 HISTOIRE
ordre : quelques-uns fe défendirent contre les aggrefleurs, Se fe fauverent -, d'autres échaperent par divers moyens : mais il en fut arrêté plus d'un cent , &: dans ce nombre il fe trouva quelques filles caracte- de la Reiuc. Cette PrincefTe même, qui n'étoit rien moins que ^h'^i^e*' ^^ qu'elle vouloitparoître, & qui vouloir pafTerpour prude, n'é- y S;- toit pas fâchée qu'on la foupçonnât de donner dans les fentimens *■"• des Reformez. Les plus honnêtes gens avoient une haute opinion d'eux, & les tenoient pour irréprochables dans les mœurs. Mais le peuple étoit animé contre eux par d'horribles calomnies. Tan- cdcm. tôt on en faifbit des Juifs, qui mangcoient un agneau de Pâque »ies ft'w-dans leurs aflèmblées nodurnes j tantôt on dilbit qu'ils y man- Tefcr- geoient un cochon au lieu de l'agneau -, tantôt qu'ils y rôtifToient des 9nez. enfans, & qu'ils failbient grand chère dans ces monllruëux re- pas j après lelquels ils fe mêloientà chandéles éteintes, par toute forte d'accouplemens illicites. Il fe trouva même des gens d'un zélé fi furieux, qu'ils oferent dire qu'ils avoient participé à ces infernales dévotions. On fit brûler plufieurs de ceux qui avoient été arrêtez: les autres fe fèrvirent heureufement de tous les tours delà chicane, pour différer le jugement : & pendant ce tems-là les AUcmans &z les Suifîès, dont le Roy avoit befoin , intercédèrent pour eux j &on laifîà ralentir ces rigueurs peu à peu, pour n'offenfer point des amis fi nécefïàires. 1 5*5 8. L'Eté fuivant le peuple s'avifa de